Diabète et psychologie
La vie avec le diabète n’est pas un long fleuve tranquille…
La survenue, puis la présence du diabète chez un enfant ou un adolescent ne peut être vécue comme une situation banale. L’impact sur la vie familiale, sociale et psychique implique nécessairement des adaptations. Le diabète est souvent vécu comme un bouleversement. Même s’il influence fortement la vie, l’enfant, l’adolescent ne se résume pas à sa maladie. On dit : « Il a un diabète », plutôt que : « Il est diabétique ». C’est le même enfant, avec une maladie. Un enfant avec un diabète est d’abord un enfant. Cette maladie va durer : on sait la soigner, mais pas encore la guérir.
Nadine Hoffmeister, psychologue à l’AJD, aborde dans chaque revue trimestrielle une thématique liée à la maladie et vous donne quelques conseils. Vous pouvez retrouver certains de ces articles dans cette rubrique.
Si vous le souhaitez, elle vous propose également un accompagnement psychologique, complémentaire à la prise en charge hospitalière, en face à face ou par téléphone tous les vendredi de 9h30 à 18h pendant 45 minutes.
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Diabète et dépendance
Par Nadine Hoffmeister
La question de la dépendance est, pour une personne atteinte de diabète « insulinodépendant », majeure et multiple car elle comprend la dépendance au traitement en tant que tel (l’insuline), la dépendance aux dispositifs implantés et connectés (pompe à insuline, capteur de glucose en continu ou FSL), la dépendance aux personnes qui vont contrôler et/ou administrer ce traitement dans les premiers temps de la maladie mais aussi la dépendance au système médical, aux équipes et aux protocoles de soin.
Le terme dépendance recouvre plusieurs sens. De connotation positive quand il qualifie un échange, une relation, ce terme devient péjoratif lorsqu’il traduit la subordination, la soumission ou l’asservissement, et même pathologique quand il décrit une dépendance à une substance, un comportement ou un produit.
Être dépendant
Alors que la dépendance biologique est un fait incontestable, une caractéristique de l’être humain (du fait de la grande immaturité du nouveau-né humain), la dépendance comme réalité psychique est une notion complexe qui ne va pas forcément de soi, dans la mesure où il s’agit d’une étape indispensable dans le développement mais dont le dépassement est également nécessaire (en partie au moment de l’adolescence) dans la construction de la personnalité.
Lorsqu’il naît, l’enfant n’est que dépendance (somatique et psychique) envers l’adulte, dépendance fondamentale à sa survie. Cette dépendance originelle du nouveau-né à cet autre initial (le parent ou autre adulte « secourable ») va inscrire le sujet humain dans un certain rapport à l’autre. Autrement dit, la dépendance est le lot de l’être humain dans son rapport au monde.
La construction de la personnalité, dans les différentes étapes de l’enfance et de l’adolescence, se joue toujours dans la construction de la limite entre soi et l’autre avec en toile de fond cette relation originelle de dépendance absolue. Si ce processus de séparation/individuation (se séparer pour devenir soi) débute dès le plus jeune âge, l’adolescent le met en lumière parfois à grand bruit en contestant dans un premier temps cette dépendance aux autres, aux parents en particulier.
Cette question existentielle de la dépendance et de l’indépendance, inaugurée à l’adolescence, accompagne l’être humain tout au long de sa vie dans une sorte de lutte interne permanente entre la dépendance (qui peut être considérée comme rassurante et protectrice) et l’indépendance. Le cheminement difficile et parfois douloureux de l’adolescence consiste alors à apprendre petit à petit à consentir à l’idée paradoxale que sortir de la « dépendance infantile » est une opération délicate car elle passe par la reconnaissance de la nécessité des liens.
Ou, comme le dit Rousseau, qu’être libre, c’est avoir des contraintes… que l’on a choisi. Ces questions, cet équilibre instable à trouver dans son positionnement et sa place face à autrui, peuvent devenir problématiques et sources de souffrances.
Par exemple, plus un adolescent (mais aussi un adulte) proclame haut et fort son autosuffisance et son « non besoin » de l’autre en pensant que pour « être soi » il peut se passer d’autrui, plus il peut être en proie à un vécu ou à un sentiment de dépendance avec une double angoisse d’abandon ou d’intrusion (« Lâche moi !… Mais ne me laisse pas tomber. »).
Être « insulinodépendant »
Que devient cette question de la dépendance quand on a une maladie chronique comme le diabète de type 1 ?
Tout d’abord, quand on a un diabète de type 1, on est littéralement dépendant de cette substance considérée comme miraculeuse lors de sa découverte au siècle passé dans les années 20. Ce traitement libère alors le patient du « spectre de la mort » puisqu’il faut rappeler que l’espérance de vie des personnes DT1 était courte avant la découverte de l’insuline, mais il le marque du sceau de la dépendance.
Dans son article « Les enjeux psychiques du diabète insulino-dépendant à l’adolescence1», Nathalie Lavenne, psychiatre, explique comment parfois l’insuline, substance vitale, peut faire émerger des représentations ou des images d’une drogue. Les adolescents ayant un diabète reprennent en effet parfois les images honteuses et dégradantes de toxicomane qui se cache des autres pour se piquer, parfois dans les toilettes, ou au contraire le font au grand jour. La maladie, en raison de cette question de la dépendance, peut ainsi prendre un caractère honteux2 (bien des adolescents racontent cacher le plus possible leur maladie aux autres).
Pour Nathalie Lavenne, « l’insuline peut ici s’apparenter à une substance dont on ne peut se passer ; une drogue, source d’énergie ou, au contraire, moyen de destruction. ». Cette identification au toxicomane n’est évidemment pas bien tolérée. Par ailleurs, la peau garde la marque des piqûres et certains stigmates peuvent là encore renvoyer à la toxicomanie, ce qui est difficilement supportable pour un adolescent.
Cette problématique de la dépendance, renforcée par la maladie, se manifeste également dans le resserrement, imposé par la maladie et par son traitement, de la relation parent-enfant au niveau du corps. Si pour tout adolescent l’appropriation de son corps se fait aux dépens du lien infantile (lien de dépendance corporelle aux parents), chez l’adolescent ayant un diabète, cette étape cruciale sera d’autant plus délicate et parfois conflictuelle.
Cette situation de dépendance et l’impression de soumission ou de passivité qu’elle peut réactiver à l’adolescence, ont une place importante dans la compréhension des problématiques spécifiques aux jeunes insulinodépendants.
Cette dépendance corporelle à la personne qui va contrôler et administrer le traitement dans les premiers temps de la maladie peut entraver ou interférer avec le processus d’individuation à l’œuvre à l’adolescence.
Ce qu’on appelle « trop » souvent « les comportements de non compliance au traitement » de certains adolescents ayant un diabète peuvent en effet être considérés comme participant au processus de réappropriation de leur corps et de leur maladie et comme une action d’émancipation.
Les adolescents tentent alors de contrôler, au lieu de subir, et inaugurent maladroitement un processus de séparation et d’individuation. Il ne s’agit pas évidement de laisser les adolescents s’enfermer dans ce que Philippe Jeammet3 appelle « une position d’omnipotence dans le négatif » c’est-à-dire tout faire tout seul, ne rendre de comptes à personne, mais il est important de considérer le risque de la « passivation ».
Il semble effectivement utile de penser à ce risque qui définit une forme extrême du sentiment de dépendance, face à certains adolescents que l’on peut appeler « des bons patients » c’est-à-dire parfaitement adaptés mais chez qui la réalité, le poids de la maladie et de la dépendance ont pris le pas sur leur construction identitaire propre.
En d’autres termes, un adolescent ayant un diabète qui se maintient dans une position « d’hyper normalité », qui serait plutôt la position « normale » d’un jeune enfant « normalement » dépendant de ses parents, peut parfois être aux prises avec une réelle difficulté dans son processus de séparation/individuation et d’appropriation psychique de sa maladie.
Cela permet également de porter un autre regard sur les jeux de mensonges et de secrets que certains adolescents vont mettre en place pour tenter de sortir d’un vécu de dépendance ou d’un sentiment d’intrusion insupportable pour eux.
A ces paradoxes du traitement, vital et dont on est dépendant, répond ainsi dans une certaine mesure des comportements de « non observance » à l’adolescence : cela constitue pour l’adolescent un risque parfois nécessaire pour se réapproprier son corps ; corps dépendant du traitement, des parents et du milieu médical.
Ainsi, l’exacerbation du lien de dépendance induit par la maladie, et surtout son traitement, peut parfois aboutir à une opposition véhémente à l’emprise de l’autre, mais aussi, à l’extrême inverse, à une position de régression et de soumission passive qui risque alors d’entraver à la fois le cheminement psychique de l’adolescence vers l’émancipation mais également le travail psychique d’appropriation de la maladie.
La question de la dépendance ressentie par un adolescent ayant un diabète de type 1 doit être un questionnement central dans la prise en charge du diabète afin d’accompagner au mieux leur processus d’autonomisation et leur équilibre narcissique (leur appréciation d’eux-mêmes). Il s’agit bien de parvenir à repérer un sentiment de dépendance (degré de dépendance ressentie par l’adolescent). Une personne peut se sentir dépendante en fonction de la nature de ses relations. Si la relation tourne exclusivement autour du corps, de la maladie ou des dispositifs cela peut entrainer une régression et un sentiment de dépendance et priver la personne de toute possibilité de reprendre une action à son compte pour la transformer et se transformer.
Rendre tolérable ce dont on a besoin
L’enjeu pour l’ensemble des personnes (parents, soignants…) qui accompagnent des jeunes ayant une maladie chronique comme le diabète de type 1, est de faire en sorte que ces enfants, ces adolescents parviennent à faire une place psychique à la fois à la maladie et à son traitement mais également à leur propre construction identitaire. Se construire en tant qu’ « insulinodépendant » et consentir à cette dépendance pour ne pas risquer de se maintenir dans la dépendance infantile est bien le paradoxe que tout adolescent ayant un diabète de type 1 devra affronter.
À l’adolescence, ce qui est paradoxal, que l’on soit diabétique ou non, c’est qu’on ne peut être autonome que si on est un peu dépendant et si l’on refuse toute dépendance à l’autre, alors il n’y a plus d’autonomie. Une personne qualifiée « d’autonome » n’est en effet pas une personne isolée, mais une personne qui se construit et est construite à travers ses relations. Autrement dit, elle est à la fois dépendante et autonome, ou encore, elle est autonome à travers les multiples dépendances qui la construisent.
La dépendance aux soignants
Dans son ouvrage « La Blessure et la Force »4, Philippe Barrier, philosophe ayant lui-même un diabète de type 1, propose une réflexion magistrale sur la question de la relation patient/médecin. La relation de soin est marquée par une double dépendance du patient, dépendance au traitement et à celui qui le prescrit. Un patient ne peut donc pas prétendre à l’indépendance dans la relation de soin.
Or, pour Philippe Barrier il est important de ne pas confondre indépendance et autonomie. D’un point de vue philosophique, l’autonomie est la faculté de libre choix, de responsabilité. Un patient ne peut évidemment pas déterminer lui-même, en première intention, le soin ou un traitement qui lui convient et c’est bien pour cela qu’il s’adresse à un médecin. En revanche, « choisir le soin, c’est choisir de se soigner et cette décision nulle autre que le patient lui-même ne saurait la prendre. » C’est une décision autonome, volontaire et responsable. Une relation aux soins dépendante et non autonome se situerait dans une relation d’obéissance et d’exécution qui placerait le médecin du côté de l’autorité ayant un pouvoir de contrainte ou d’imposition d’une règle.
La notion de « non observance du patient » serait pour l’auteur une illustration du risque face à un modèle de soin « autoritaire » qui n’intègre pas la question de l’autonomie psychique du patient. Les patients « non observant » seraient ceux qui ne suivent pas suffisamment leur traitement pour atteindre un bénéfice optimal. Pour Philippe Barrier, « le patient n’est pas observant parce qu’il n’a pas lieu de l’être. Se soigner n’est pas obéir (pas plus que désobéir), c’est vouloir la régulation de son état de santé, et s’approprier les instruments qui l’autorisent. »
Ainsi, la relation médicale, évidemment nécessaire, doit être avant tout un lien. Pas dans le sens d’un attachement passif, d’une dépendance, d’une soumission mais dans celui d’une relation singulière équilibrée. C’est alors que le patient devient dépendant autrement c’est-à-dire autonome en ayant la possibilité de s’approprier sa maladie et son traitement.
Pour conclure, la question du manque
La notion de dépendance est une notion complexe car c’est un mot qui est chargée de représentations négatives. Être dépendant fait peur car cela nous confronte irrémédiablement au manque. Se sentir dépendant fait craindre d’emblée la peur de perdre, de manquer de ce dont on est dépendant. Or, admettre l’idée de notre manque, de notre dépendance constitue également une force. Dans la théorie psychanalytique les notions de manque et de désir sont étroitement liées. Selon Lacan par exemple, c’est notre condition « d’être manquant » qui nous pousse vers le désir, le désir d’avancer, de se construire, de vivre en relation avec les autres mais aussi le désir de prendre soin de soi.
Bibliographie :
1 Lavenne, Nathalie. « Les enjeux psychiques du diabète insulino-dépendant à l’adolescence », Droit, Santé et Société, vol. 1, no. 1, 2016, pp. 26-41
2 Cette question de la honte a été abordée dans un autre article. N.Hoffmeister, La Honte, Revue de l’AJD, septembre 2018
3 Jeammet P. (2000), « L’énigme du masochisme », PUF
4 Philippe Barrier, La Blessure et la Force, La maladie et la relation de soin à l’épreuve de l’auto-normativité, 2010, PUF
Stress parental
Par Nadine Hoffmeister
Être parent aujourd’hui n’est pas un long fleuve tranquille. Là où les parents d’hier suivaient des principes écrits par d’autres avant eux, les parents d’aujourd’hui sont en quelque sorte condamnés à l’improvisation, au doute et à la négociation perpétuelle avec eux-mêmes et avec l’autre…. A l’heure actuelle, les parents sont dans un fantasme qui est très puissant d’enfant parfait. L’enfant ne serait pas parfait uniquement sur un plan narcissique (c’est-à-dire parfait pour ses parents) mais il doit également être protégé de toute souffrance et être toujours heureux. Ce fantasme met évidemment une grande pression sur les parents. Toute erreur, toute épreuve les fait s’interroger « cela va-t-il traumatiser mon enfant ? » (par exemple la naissance d’un petit frère, un déménagement, une séparation…). A cela s’ajoute les notions de « parentalité positive ou bienveillante » qui inondent les rayons des libraires et les réseaux sociaux et qui ne font que renforcer la pression sur les parents. Les « bons parents » seraient ceux qui grâce à une multitude d’outils auraient alors la bonne méthode, la bonne recette pour fabriquer un enfant épanoui, heureux dans un environnement harmonieux et toujours paisible. Cela peut induire insidieusement l’idée selon laquelle il y aurait une bonne manière de faire et donc, par conséquent, une mauvaise… Ce mouvement du positivisme à tout prix peut produire des parents s’imaginant maîtres tout puissant du développement de leur enfant, ce qui a pour conséquence de faire émerger une angoisse terrible à l’idée de mal faire.
La société d’aujourd’hui nous a éloigné de la tolérance que le pédiatre psychanalyste Winnicott1 avait à l’égard de la difficulté d’être parent en s’appuyant sur l’idée que chaque parent fait ce qu’il peut et en inventant le concept de « mère suffisamment bonne » ni parfaite (qui maintiendrait l’enfant dans un sentiment d’omnipotence en répondant trop aux besoins de l’enfant) ni pas assez bonne (qui laisserait l’enfant en souffrance et dans l’angoisse). Pour illustrer cette idée qu’être parent c’est « supporter d’être inadéquat », Freud répondait, non sans humour, à une jeune mère qui lui demandait conseil quant à la position qu’il conviendrait idéalement aux parents de tenir « Faites, de toute façon, ce sera toujours mal ! ».
Philippe Jeammet, psychiatre psychanalyste spécialiste de l’enfant et de l’adolescent, explique à propos de la parentalité que « c’est un processus naturel qu’il ne faut pas complexifier à l’excès si on ne veut pas paralyser les parents.2 »
Qu’il n’est pas facile d’être parent devrait être une conviction, une éthique du tout professionnel qui a en charge un enfant. A l’intérêt supérieur de l’enfant il faut opposer la difficulté d’être parent. Isoler l’enfant dans un discours, dans des pratiques ou des injonctions éducatives peut provoquer une rupture du lien symbolique et affectif parent/enfant, une stigmatisation négative des parents et, in fine, leur culpabilisation.
Être parent n’est pas facile, être parent d’un enfant ayant une maladie chronique constitue une épreuve qui peut encore davantage désorganiser les repères déjà fragiles sur lesquels on s’appuie dans le processus de la parentalité. Toute maladie, tout symptôme anormal est source d’angoisse pour les parents et indirectement pour l’enfant et sa famille. La gestion de cette angoisse doit être indissociable de l’activité de tous ceux qui soignent ou côtoient les enfants malades. Dans son livre « Mon bébé en bonne santé », le pédiatre Philippe Grandsenne écrit en introduction : « Si les enfants n’ont jamais été en aussi bonne santé, leurs parents n’ont jamais été soumis à une aussi grande angoisse qu’aujourd’hui où la moindre imperfection leur apparaît intolérable.3 »
Outre le choc de l’annonce du diagnostic, la maladie de l’enfant entraîne souvent chez les parents des sentiments de culpabilité qui peuvent contribuer à aggraver leurs angoisses, leur stress. Le premier sentiment de culpabilité est celui de ne pas avoir pu protéger leur enfant de la maladie. La maladie de l’enfant frappe de plein fouet une des fonctions parentales les plus déterminantes : la protection. Le sentiment de défaillance de protection n’est pas seulement susceptible d’être dommageable pour l’enfant qui, pour sa construction psychique, prend appui sur la protection offerte par les parents, elle peut également affaiblir le sentiment de capacité parentale et fragiliser leur investissement de leur enfant et les éloigner bien malgré eux de leur aptitude à contenir sa douleur et ses angoisses. Ainsi, l’intérêt de l’enfant c’est aussi que l’on prenne soin de ses parents et que leur cheminement d’adaptation soit pris en compte dans la prise en charge de la maladie chronique de leur enfant.
L’angoisse des parents peut s’exprimer de façon très diverse : l’inquiétude pour l’enfant, bien sûr, la peur de sa mort, celle de sa souffrance ou de son échec plus tard dans sa vie scolaire, sociale, amoureuse, la culpabilité (qui peut s’appuyer sur des théories diverses sur les causes de sa maladie), le doute sur la pertinence des choix de vie qu’ils ont faits, sur leur compétence parentale, la crainte de déstabiliser leur couple, leurs autres enfants, leur situation professionnelle…
L’annonce de la maladie chronique de leur enfant est une effraction qui menace l’équilibre psychique des parents et petit à petit émerge la nécessité pour les parents de comprendre et de s’adapter à « cette nouvelle allure de la vie.4 »
L’annonce d’une maladie chronique chez l’enfant exige non seulement de nombreuses adaptations psychiques mais confronte également les parents à l’expérience de la perte que tout parent traverse mais que la maladie de l’enfant convoque dans le réel. La perte concerne à la fois la blessure narcissique que peut provoquer l’annonce d’une maladie chez l’enfant pour lequel les parents avaient évidement désiré tout mais pas ça (blessure dont les parents peuvent d’ailleurs se sentir coupable) mais également la perte de cette « toute puissance parentale » dans laquelle notre société enferme les parents. En effet, le stress et les angoisses des parents d’un enfant ayant une maladie chronique est aussi l’expression douloureuse de leur impuissance face à la souffrance de leur enfant. Le dépassement, l’acceptation de cette perte est alors cruciale pour que l’enfant puisse faire de la maladie la sienne et grandir avec. En effet, c’est quand les parents renoncent à l’idée qu’ils peuvent tout pour leurs enfants et que leurs enfants ne sont pour tout à eux, qu’ils permettent à leurs enfants de se construire. Dans le cadre d’une maladie chronique comme le diabète de type 1, le risque de ces injonctions de « parents parfaits » et « d’enfants parfaits » est que face aux angoisses légitimes que cette pression provoque chez les parents, l’enfant développe un besoin inconscient de « réparer » ce stress parental en essayant de devenir « le diabétique modèle » ou a contrario de refuser de s’y soumettre par exemple. Le diabète devient alors la blessure narcissique des parents et non pas la maladie de l’enfant avec laquelle il doit apprendre à vivre.
Mais cela est sans compter sur la capacité de l’enfant lui-même, non par intention mais de part sa place, à faire résistance au projet narcissique dont il se sent l’objet. L’enfant contrarie, contredit ses parents : « Non ! », « C’est mon diabète et pas le tien ! » mais aussi « T’inquiète, je gère ». Accepter ce sentiment de perte inhérent à la condition parentale passe par la capacité à faire confiance à l’enfant et en ses capacités d’adaptation. Pour les parents accepter cette perte ne se fait pas sans angoisse mais c’est à ce prix que l’enfant parviendra à faire son propre cheminement et trouvera ses propres voies d’adaptation à la maladie pour apprendre à vivre avec. La tâche des parents est de parvenir à sauvegarder, malgré l’angoisse, leur capacité protectrice en la transformant en étayage. Il ne s’agit donc pas de tenter d’éradiquer l’angoisse inhérente à la condition parentale mais de trouver une manière de la métaboliser et d’en atténuer les effets. Être à l’écoute des enfants mais aussi des parents est sans doute un bon début.
Bibliographie :
1 D.W. Winnicott, pédiatre psychanalyste qui a notamment publié « Conseils aux parents » dont le titre original est « Talking to parents », Payot, 1995
2 Philippe Jeammet, « Réflexions sur la parentalité », Revue Adolescence, n°55/1/2006
3 Philippe Grandsenne « Mon bébé en bonne santé », Hachette, 2004
4 Expression utilisée par Canguilhem dans son ouvrage Le normal et le pathologique, PUF, 2013
Alimentation et diabète
Par Nadine Hoffmeister
« Qu’est-ce qu’on mange ? », question lancinante et récurrente adressée aux parents. « Mon enfant mange-t-il bien ? » « Mon enfant mange-t-il suffisamment, trop ? », « Dois-je le forcer à finir son assiette ? », « Prend-il 5 fruits et légumes par jour ? » « Comment lui faire manger des légumes ? » tant de questions auxquelles sont confrontés tous les parents et qui peuvent être source d’inquiétudes voire d’angoisses quand les repas deviennent problématiques.
Après l’annonce d’un diabète de type 1 chez son enfant, de nombreuses questions viennent se rajouter à cette charge mentale des parents liée à l’alimentation : « Devons-nous totalement changer nos habitudes alimentaires ? », « Mon enfant a-t-il le droit de prendre son cacao du matin ? », « Comment faire pour les goûters d’anniversaires, les bonbons ? », « Comment va-t-il faire à la cantine ? », « Devrons-nous faire un panier repas ? » etc, etc.
L’alimentation peut ainsi devenir véritablement source d’anxiété d’autant plus que dans notre société existe l’idée que l’on devient ce que l’on mange. Ainsi, ce n’est pas seulement la survie mais l’identité qui est en jeu quand on se nourrit.
La place de l’alimentation (ou oralité) dans le développement psychique
Nourrir son enfant est non seulement le premier acte de survie mais également le premier acte d’amour et représente ainsi d’emblée un important enjeu affectif. Il s’agit bien de l’acte « maternel » par excellence qui vise à transmettre et donner la vie, prise dans toutes ses dimensions. Au travers de ce que Winnicott1 nomme « la préoccupation maternelle primaire » c’est-à-dire cet état psychique particulier de la mère qui accueille son nouveau-né en s’adaptant au plus près de ses besoins, l’acte nourricier occupe une fonction essentielle dans le développement psychique de l’enfant. C’est en effet dans ce tout premier lien que le bébé va petit à petit construire son sentiment de soi et de l’autre.
Manger est certes un acte vital et quotidien, mais c’est aussi au-delà de cette satisfaction de besoins primaires, un acte chargé de sens, culturellement, socialement et psychologiquement (et pour certaines aussi sur le plan religieux). Manger a pour objectif primaire la vie, ou plutôt la survie. Le corps est une machine qui consomme de l’énergie, celle-ci est apportée par la nourriture, ainsi manger est principalement un acte mécanique, biologique et chimique. Le comportement alimentaire quant à lui se définit comme la sélection et la consommation des substances qui correspondent aux besoins du corps. Pourtant, manger se révèle être un acte bien plus complexe, bien plus chargé de sens et de valeurs.
La nourriture est un vecteur important de la transmission au sein d’une famille, elle sollicite ce qui est de l’ordre de la sensation et de la perception. Elle est au cœur de l’instauration des relations précoces à la mère et participe au déploiement d’un ensemble de relations complexes qui accompagne le développement de l’enfant et sa découverte du monde. Les rituels alimentaires de chaque famille sont souvent des indicateurs sur les relations intersubjectives qui s’y déroulent. On pourrait dire que chaque famille fait sa cuisine et met dans les plats des valeurs qui lui ont été transmises.
La nourriture est un lieu de rencontre, de partage. Avant d’être absorbée, la nourriture est donnée et acceptée. Accepter ce don de nourriture c’est aussi accepter l’autre et accepter également de nouer des liens avec lui. Refuser le partage c’est en quelque sorte une tentative de s’individualiser ou parfois même de rejeter l’autre. C’est ainsi que les repas sont aussi un des premiers terrains d’affrontements, de contestations et d’affirmations dans le lien parents/enfants.
Place de la société dans l’alimentation ou « l’art d’accommoder les bébés2 » ?
A cette dimension subjective et intrafamiliale de l’alimentation s’ajoute une dimension sociétale importante qui contribue à rendre l’alimentation souvent anxiogène pour les parents. L’acte alimentaire se déroule en effet selon des protocoles imposés par la société. La société (média, discours médical…) guide le choix des produits, donne des recommandations de préparation, de diversification…
Cela est d’autant plus vrai pour les jeunes parents qui reçoivent des conseils très normatifs et souvent stricts sur toute la puériculture : rythme des tétées ou biberons, quantité de lait, combien de fois, en combien de temps, la durée normale d’un allaitement, à quel âge autoriser les morceaux, par quel aliment commencer… La norme est alors assénée comme une vérité scientifique valable pour tous alors que le bébé, lui, est multiple et peut résister au comportement que l’on cherche à obtenir de lui (de nombreux bébés qui refusent de prendre le biberon par exemple ou ne veulent pas de morceaux à l’âge préconisé par le pédiatre). Cela peut générer de nombreuses angoisses parentales, des interactions modifiées qui éloignent les parents de leurs ressentis et peuvent entraîner du forçage alimentaire par exemple. Cette confrontation entre l’injonction normative et le comportement de bébé peut être vécue de manière violente par les parents.
Dans un article, un professeur de philosophie et également père résume parfaitement la difficulté pour les parents à trouver « l’attitude suffisamment bonne » : « le choix à opérer suppose une vraie sagesse, une sagesse pratique qui va devoir composer avec des données multiples : je dois faire avec moi (mon psychisme, ses contradictions), mon conjoint, mon enfant (son corps en trajectoire, son être vivant, humain, pensant, en devenir), les groupes et la société à laquelle j’appartiens, leurs règles et leurs techniques, leurs pouvoirs aussi ; mais encore, l’héritage familial et culturel, transgénérationnel, qui m’a été légué, et que j’ai à (choisir de) transmettre. »3
La place de l’alimentation dans le traitement du diabète
Tout cela permet aisément de percevoir le désarroi voire la panique qui s’emparent des parents à leur retour à la maison suite à l’annonce d’un diabète. Toute la famille arrive en effet à l’hôpital avec ses habitudes, ses représentations et ses traditions alimentaires mais aussi parfois avec des conflits ou inquiétudes déjà existants autour de l’alimentation. A l’hôpital les enfants reçoivent des plateaux repas préparés suivant un protocole mis en place par les diététiciennes et qui sont parfois très éloignés des us et coutumes de la famille. Quand vient le moment du retour à la maison la famille peut être confrontée à l’angoisse de cet écart entre les plateaux de l’hôpital et leurs habitudes alimentaires. Cela peut être vécu d’autant plus difficilement qu’à l’hôpital les familles peuvent entendre des phrases comme « il faut manger normalement » ou même parfois « régime équilibré », « certains aliments sont à proscrire » …. Avec ces discours parfois équivoques ou à l’inverse injonctifs, l’alimentation peut devenir une véritable source d’angoisses. Cela est d’autant plus vraie que dans le cas du diabète de type 1, l’alimentation est inévitablement associée au traitement. L’association « nourriture=piqûre » provoque forcément un changement quant à la place de l’alimentation, elle peut devenir un médicament qui fait partie intégrante du traitement.
Le diabète de type 1 induit une nouvelle attention vis-à-vis de l’alimentation, elle devient associée à des opérations mathématiques, des mesures, la nécessité d’une certaine maîtrise ou une logique de calcul. Tout cela peut dans un premier temps faire vivre aux parents (mais aussi à l’enfant) une sorte de régression vers un stade antérieur de leur relation à leur enfant, les parents comparent d’ailleurs souvent leur retour à la maison après l’annonce du diabète à leur retour à la maison après la naissance de leur bébé. En effet, non seulement une fois le diagnostic de diabète posé, l’enfant redevient dépendant de ses parents alors même qu’il commençait à s’autonomiser et à s’individualiser mais les parents peuvent revivre les sentiments d’insécurités que l’on peut connaître avec un nourrisson dont on doit s’occuper.
La problématique qui peut alors émerger dans le lien parent/enfant est celle de la maîtrise, du contrôle. D’autant plus que l’alimentation peut devenir le seul élément mesurable donc contrôlable. D’un côté les parents peuvent au travers de l’alimentation, être tentés d’exercer un certain contrôle face à une maladie devant laquelle ils se sentent impuissants et de l’autre, l’enfant ou l’adolescent peut manifester une opposition, un refus de se soumettre à ce qu’il peut vivre comme des injonctions. Il est évident que plus les parents se sentent eux-mêmes soumis à des injonctions, des recommandations normatives quant à l’alimentation de leur enfant ayant un diabète, plus la scène alimentaire peut devenir un lieu de remise en cause de l’autorité et des règles admises. Il s’agit alors pour toute la famille de se réapproprier cette nouvelle manière de se nourrir et de l’adapter à la fois à la maladie mais également aux besoins de chacun. Avec l’irruption du diabète dans la vie d’une famille, le chemin d’adaptation confronte à la question « vivre pour manger ou manger pour vivre ? ».
Et le sucre ?
Très souvent, les enfants ou adolescents ayant un diabète évoquent leur sentiment de frustration ou de privation notamment vis-à-vis des aliments les plus attractifs : les mets sucrés. Il n’est par ailleurs pas anodin que, dans le DT1, ce soit le sucre et non tout autre aliment qui fasse l’objet d’un contrôle rigoureux. Le sucre comporte en lui cette double composante à la fois régressive, enfantine mais aussi cette valeur de transgression et de culpabilité qui est inhérente à sa consommation. Ainsi l’amour immodéré des sucreries peut être considéré comme une forme de résistance face à une norme devenue presque totalitaire dans notre société.
Avec le diabète, les sucreries, surtout quand elles sont consommées « en cachette », représentent en effet souvent pour les enfants et les adolescents un moyen d’attirer l’attention sur une difficulté voire une souffrance liée au diabète par exemple, un besoin d’émancipation, d’autonomie ou de mise à distance vis-à-vis de parents peut être trop rigides. En somme, dans un contexte chargé de contraintes, le mensonge ou la transgression liés à la consommation de sucreries sont souvent des indicateurs précieux du processus d’adaptation au diabète. 4
Pour conclure
Que les enfants aient un diabète ou non, l’alimentation est souvent une source de conflits, d’inquiétudes ou de culpabilités pour les parents. Le diabète peut parfois amplifier ces difficultés et devenir un enjeu dans la relation parent/enfant. Après l’annonce d’un diabète, toute la famille se retrouve face à la nécessité de s’adapter petit à petit à cette nouvelle place de l’alimentation pour retrouver de l’autonomie et de la liberté. Le cheminement et l’appropriation consisteraient à parvenir à relativiser les recommandations, retrouver du bon sens, écouter et faire confiance à ses enfants et à soi-même.
Bibliographie :
1 D. Winnicott, « La préoccupation maternelle primaire » in Psychanalyse et Pédiatrie, 1956 moder les bébés, 2001
2 Delaisi de Parseval, Lallemand, L’Art d’accommoder les bébés, 2001
3 Julien Cueille, « Le care comme réappropriation de l’expérience parentale : une alternative à la violence des normes », revue « Spirale » n°72/2014
4 Cf article « Le mensonge : une voie d’adaptation ou diabète ? », revue de l’AJD, décembre 2017
Le couple à l'épreuve du diabète de l'enfant
Par Nadine Hoffmeister
« Votre enfant a un diabète de type 1 », : le médecin s’adresse à des parents, mais aussi à un homme, à une femme qui forment un couple avant d’être des parents. Ce couple, appelé couple conjugal, est touché par la maladie de l’enfant, son équilibre est bouleversé. L’arrivée d’un enfant vient déjà bouleverser la dynamique du couple et parfois mettre à mal la conjugalité.
Mais qu’advient-il de ce fragile système lorsque la maladie de l’enfant vient faire effraction ? Qu’est-ce qui arrive au couple après l’annonce du diagnostic de diabète de type 1 ?
Il n’y a évidemment pas de réponse univoque pour tous les couples. Tout d’abord, au niveau individuel, l’annonce d’une maladie chronique représente une véritable crise pour chaque parent, du fait des ruptures qu’elle introduit, des changements au niveau des repères établis, l’insécurité mais aussi de l’intensification des mécanismes de défenses de chacun (mécanismes psychiques qui se mettent en place pour faire face). Chacun se retrouve dans ce premier choc de l’annonce, seul, face à sa souffrance, ses inquiétudes et parfois aux prises avec une réactivation de blessures passées (deuils, maladie…).
L’annonce de la maladie chronique de son enfant est donc d’abord une épreuve intime, solitaire que l’on soit en couple ou non.
Chacun son rythme
L’annonce du diabète d’un enfant conduit ses parents à développer des mécanismes de défenses souvent différents. Les conjoints ne passent pas par les mêmes étapes en mêmes temps.
Au sein d’un couple, chacun fait comme il peut avec ce qu’il est et le processus d’adaptation ne se fait pas de la même manière ni au même rythme pour chacun. Et quand les réactions divergent au point de créer des malentendus, l’équilibre du couple peut s’en trouver malmené. Les conjoints peuvent alors se sentir d’autant plus seuls et désemparés qu’ils constatent que l’autre n’a pas les mêmes réactions émotionnelles face à l’épreuve de la maladie chronique de leur enfant.
Tout se passe souvent comme si chacun supposait que la maladie de l’enfant représente pour l’autre ce qu’elle est pour lui et que celui-ci manifesterait angoisse et chagrin de la même façon que lui. C’est cependant rarement le cas, et c’est souvent cette incompréhension réciproque qui peut être à l’origine de reproches et de conflits.
Cette dissymétrie fait que, même dans le couple le plus uni, il peut devenir difficile de dire « nous ». Chacun se trouve face à sa propre peine et ne se sent plus à même d’apporter soutien et consolation à l’autre. En bouleversant l’équilibre du couple, l’annonce d’une maladie chronique chez l’enfant dévoile de nouvelles facettes de soi et de l’autre. Les bouleversements induits par la maladie de l’enfant révèlent des fragilités des besoins mais aussi des ressources parfois insoupçonnées.
Ils peuvent aussi mettre en lumière des modes de communications dissemblables. En somme, la survenue brutale d’un événement inattendu comme la maladie – qui plus est chronique – d’un enfant, révèle au grand jour les ressorts cachés de la relation conjugale et peut alors provoquer une situation de crise dans le couple. Le terme « crise », par son étymologie, renvoie à la fois à l’idée de changement et de douleur, une sorte d’opportunité de changement dans la douleur.
L’irruption d’un diabète de l’enfant chamboule l’équilibre de l’ensemble de la famille et induit un processus de réaménagement psychique, une adaptation nécessaire à cette « nouvelle allure de la vie » qui devient également une « nouvelle allure du couple ».
Dans un tel contexte, le déséquilibre, la crise, « la nouvelle allure » qu’introduit l’annonce d’une maladie chronique dans le fonctionnement d’un couple, peut exacerber des différents conjugaux antérieurs. A contrario, dans d’autres cas, la maladie et la mobilisation qu’elle suscite procurent un exutoire aux tensions existantes dans le couple. La maladie peut parfois devenir garante de l’unité conjugale et rapprocher les conjoints.
Parents avant tout
Lors de l’annonce, les parents apprennent non seulement le diagnostic de diabète de type 1 de leur enfant mais ils se retrouvent également assignés à un nouveau rôle, celui de soignants de leur enfant. Au-delà du choc et de l’angoisse que cela provoque, les parents vont devoir intégrer dans leur quotidien les temps de soins nécessaires au traitement du diabète de leur enfant. Les rôles de chacun sont alors notablement modifiés, cela génère des problèmes de gestion et d’équilibre pour lesquels il n’y pas de réponses univoques pour les parents : parfois un surinvestissement maternel dans les soins, parfois des sacrifices professionnels de l’un ou de l’autre parent, parfois une nouvelle répartition des tâches coparentales…
Face à ces nouvelles exigences qu’impose la maladie, la réalité du couple conjugal peut s’effacer, voire disparaître au profit du couple parental. Plus que jamais, ce qui compte, c’est d’être de bons parents : une bonne mère, un bon père, au détriment de la relation de couple.
Dans leur article, Frascalo-Moutinot, Darwiche et Favez (cf. bibliographie), proposent d’analyser la famille à la lumière des différents systèmes qui la composent.
À l’origine de la création d’une famille, il y a un couple. La constitution d’un couple implique une notion de projet. Ce projet inscrit la rencontre dans la durée, la temporalité, il transforme la rencontre en couple et permet la constitution du lien conjugal et du couple conjugal.
Lors de la naissance d’un enfant, le couple conjugal devient également un couple parental auquel vont s’ajouter d’autres sous-systèmes, comme celui du couple co-parental qui caractérise les relations et le soutien mutuel que se donnent, ou non, les parents dans leurs rôles de parents (la coopération des parents, l’un envers l’autre, dans leur rôle parental).
S’ajoutent aussi les deux sous-systèmes parentaux mère-enfant et père-enfant, qui se construisent parallèlement. Cette vision de la famille comme système et sous-systèmes permet de mettre en évidence les remaniements qui peuvent s’opérer selon les changements ou évolutions vécus par la famille. Les remaniements qu’implique l’irruption d’une maladie chronique d’un enfant ne seront évidemment pas abordés de la même manière par tous les couples.
Certains couples vont privilégier le parental, parfois au détriment du co-parental, d’autres mettront l’accent sur le co-parental, peut être au détriment du conjugal.
Dépasser la crise
De la rencontre amoureuse à la formation d’un couple, de l’engagement dans un lien conjugal à la création d’une famille, de la banalité de la vie quotidienne aux événements douloureux ou compliqués qui la déstabilisent, la vie de couple n’est pas un long fleuve tranquille. Elle est rythmée par des crises qui nécessitent un cheminement, une adaptation psychique de chacun pour les dépasser. Ces crises inévitables ouvriront soit sur un renforcement du lien soit sur la dissolution du couple.
S’adapter à cette « nouvelle allure de la vie » avec un diabète, cet intrus avec lequel il faudra désormais cohabiter, passe par un processus de dépassement, d’apprivoisement de tout ce que cette annonce est venue révéler comme angoisses, fragilités mais aussi colère et sentiment d’injustice.
Dépasser cette crise en tant que couple nécessite ainsi également de parvenir à faire avec tout ce que cette annonce est venue révéler de l’autre, son conjoint, sa fragilité mais surtout son altérité. Le dépassement de la crise se situe dans l’idée de parvenir à faire alliance avec l’autre, d’allier l’inexpérience de chacun face à cette situation nouvelle et insécurisante. Il peut être ainsi utile de prendre conscience de l’asymétrie émotionnelle ou de la différence de gestion des émotions de son conjoint et de considérer l’autre de là où il est.
Faire de cette blessure une force et de cette crise l’occasion d’inventer un nouveau lien à l’autre, son conjoint, pourrait être la voie d’adaptation et de cheminement du couple après le choc de l’annonce du diabète de leur enfant.
Bibliographie :
Annie de Butler, Quand l’arrivée des enfants fait basculer le couple, Revue « Dialogue » 2002/3 n°157, p. 117-125, ERES.
Ivy Daure, Le couple face à la maladie de l’enfant, Revue « Le journal des psychologues » 2016/6 n°338, p.16-20, Martin Média.
Drina Candilis-Huisman, La protection parentale mise à l’épreuve de la maladie de l’enfant, Revue « Enfance § Psy » 2014/3 n°64, p.118-125, ERES.
France Frascalo-Moutinot, Joëlle Darwiche et Nicolas Favez, Couple conjugal et couple co-parental : quelle articulation lors de la transition à la parentalité ? Revue « Cahier critiques de thérapie familiale et pratique de réseaux » 2009/1 n°42, p.207-229, De Boeck Supérieur.
Monique Dupré la Tour, Les crises du couple. Leur fonction et leur dépassement, 2005, ERES.
La place des dispositifs dans la vie avec le diabète
Par Nadine Hoffmeister
Depuis la découverte de l’insuline en 1921 et les premières injections d’insuline chez l’homme, les dispositifs médicaux indispensables à la mesure de la glycémie et à l’administration d’insuline ont bénéficié des évolutions scientifiques et technologiques de ces dernières décennies et de façon encore plus significative depuis les années 80 avec l’avènement de la microélectronique et de l’informatique.
Les pompes à insuline ainsi que les systèmes de mesure du glucose sont aujourd’hui sans cesse plus perfectionnés et plus connectés. Les fabricants proposent de plus en plus d’intégrer l’intelligence artificielle dans la gestion du diabète de type 1 (dispositifs dits « en boucle fermée » qui permet d’automatiser l’injection d’insuline).
La caractéristique commune de tous ces dispositifs médicaux est qu’il s’agit de « machines » dont une partie est implantée dans la peau et parfois connectées.
Face à la vitesse des innovations et au développement de nouveaux dispositifs, il paraît important et utile de prendre le temps de s’interroger sur le lien entre l’homme (la personne ayant un diabète, mais aussi son entourage ou les équipes médicales) et ces « machines ». Il paraît en effet intéressant de ne pas évaluer ces nouveaux dispositifs uniquement en fonction de ce qu’ils apportent sur le plan strictement médical, mais de s’intéresser aussi à la qualité de vie qu’ils peuvent ou non apporter et surtout au travail d’adaptation psychique nécessaire à leur appropriation.
Les enfants et adolescents chez qui débute un diabète de type 1 sont aujourd’hui confrontés non seulement au cheminement difficile de l’appropriation de leur maladie chronique, mais également à l’adaptation à une technologie implantée et connectée. Le diabète peut déjà être considéré comme un intrus qu’il faut apprivoiser et peut également confronter à un vécu d’inquiétante étrangeté (cf. article « Le diabète : intrus et familier » dans la Revue de l’AJD de mars 2018) mais qu’en est-il de toutes ces machines dont les diabétiques dépendent ?
Les jeunes se font parfois « traiter » de cyborg et ne le vivent pas toujours bien. Que peut signifier psychiquement cette notion de cyborg c’est-à-dire l’homme connecté en permanence à une machine dans la construction identitaire d’un enfant ou d’un adolescent avec un diabète et portant une pompe ou un appareil de mesure du glucose ?
Serge Tisseron explique, dans la préface du livre de Frederic Tordo « Le Moi Cyborg, psychanalyse et neurosciences de l’homme connecté », « qu’il nous faut apprendre dès aujourd’hui à penser les conséquences psychiques de cette alliance du corps habité par des objets technologiques ».
Cela est d’autant plus vrai que l’avenir du traitement du diabète de type 1 va de plus en plus vers l’utilisation d’objets technologiques implantés et connectés.
Le diabète à « fleur de peau »
La réalité du diabète est d’abord le traitement et plus précisément une effraction pluriquotidienne de la peau. Les dispositifs comme les pompes à insuline et les capteurs de glucose ont la particularité d’être implantés dans la peau et d’y demeurer.
Dans son ouvrage « Le Moi-peau », Didier Anzieu confère à la peau non seulement la fonction d’enveloppe corporelle, mais également une fonction de contenance, de protection et de maintient psychique. Pour lui, le sentiment d’unité corporelle et psychique, qui s’acquiert au cours de la toute petite enfance, se construit progressivement grâce aux expériences sensitives (caresses, soins, portage…) notamment par la peau.
Pour Anzieu, la peau en tant qu’enveloppe corporelle est l’organe qui sert d’étayage à des fonctions psychiques essentielles dans la construction du moi c’est-à-dire de son identité. Ainsi, c’est en s’appuyant sur la fonction biologique de la peau (enveloppe corporelle, contenance, sensations du toucher, protection, unicité…) que l’identité se construit. L’apparition d’un diabète, mais surtout cette effraction pluriquotidienne de la peau vient alors fragiliser les fonctions de contenance, de maintien et identitaire. Cette effraction va provoquer une sorte de rupture qui peut être à l’origine d’un vécu de discontinuité de l’enveloppe corporelle et psychique.
Avoir une pompe et/ou un appareil de mesure du glucose implantés dans sa peau à demeure, fragilise et modifie l’enveloppe corporelle et nécessite un réaménagement psychique pour permettre l’appropriation de ces outils de traitement du diabète. Il s’agit alors de construire une nouvelle enveloppe corporelle en y intégrant les dispositifs médicaux pour le traitement du diabète.
L’arrivée du diabète nécessite un long cheminement pour faire avec cette « nouvelle allure de la vie », et les dispositifs implantés pour son traitement nécessitent un travail de reconstruction de l’enveloppe corporelle. C’est justement parce que la peau soutient l’identité qu’une effraction de celle-ci peut provoquer une perte de son sentiment d’identité et ainsi plonger dans un vécu d’étrangeté malgré les bénéfices pratiques de ces dispositifs implantés.
Dans son ouvrage, « Le Moi-Cyborg », Fréderic Tordo explique comment « une nouvelle ‘limite corporelle’ est créée qui se métamorphose sans cesse en relation avec les propriétés de la ‘machine embarquée’ ». Pour lui, la peau n’est alors plus la seule limite de notre corps, « la technologie constitue une seconde limite, comme une seconde peau ou comme une ‘peau technologique’ ». Ces technologies invasives provoquent des intrusions de l’enveloppe corporelle et participent ainsi aussi à la redéfinition de son identité.
Cette métamorphose, cette transformation par appropriation de la technologie « à fleur de peau » se fait évidemment de manière progressive et non linéaire, il peut y avoir des moments de rejets, de résistance ou d’hostilité vis-à-vis de ce qui est au départ un corps étranger.
La peau : elle voile et dévoile
Protectrice, la peau est aussi vulnérable. Elle peut laisser transparaître nos déficiences physiques, nos émotions, nos sentiments. Elle peut alors devenir un obstacle aux relations sociales en confrontant aux préjugés. Ainsi, le fait de porter sur soi, à même la peau, un dispositif visible peut également faire émerger le sentiment de honte, car cela confronte au regard de l’autre.
Cette question du voile est d’autant plus cruciale au moment de l’adolescence, période de transformations physiques et psychiques, mais aussi période de vulnérabilité de la peau.
Françoise Dolto parlait du « complexe du Homard » pour décrire la période de changement de carapace entre l’enfance et l’adolescence et la vulnérabilité causée par cette mise à nu transitoire.
Ce sentiment de mise à nu que peuvent ressentir les adolescents permet aisément de comprendre les difficultés que certains peuvent avoir avec le fait qu’une pompe ou un capteur de glucose puisse se voir, car comme l’explique justement le Docteur Courtecuisse : « Tous les animaux qui muent, changent de peau, aiment à le faire à l’abri des regards ». Tous ces dispositifs médicaux donnent à voir une différence, un dysfonctionnement d’un corps, d’une peau en pleine métamorphose de l’adolescence. On dit souvent qu’un adolescent peut être « mal dans sa peau », intégrer dans cette peau un dispositif qui vient dévoiler l’intime d’une maladie peut être compliqué et nécessite un véritable cheminement d’appropriation et de construction identitaire.
Qui est le pilote de l’avion ?
Le docteur Marc de Kerdanet (Président de l’AJD) explique souvent que, face à l’émergence de pompes ou de systèmes à boucle fermée de plus en plus sophistiqués et intelligents pour le traitement du diabète, il est essentiel de penser qu’il y aura toujours besoin d’un pilote dans l’avion et que ce pilote restera le cerveau de l’homme et non pas la machine.Cela permet d’évoquer la question de l’autonomie indispensable par rapport à la machine.
Sur France Inter, Serge Tisseron conclut toujours son émission consacrée aux liens entre l’homme et les machines en disant « n’oublions pas qu’il n’y a pas d’hommes-machines, il n’y a que des hommes et des machines ». La particularité des pompes à insuline et des capteurs de glucose est qu’ils remplissent non seulement leur fonction d’injecter de l’insuline et de mesurer le glucose mais ils donnent également un certain nombre d’informations concernant l’équilibre glycémique, des moyennes, des pourcentages… Les écrans donnent ainsi en quelque sorte accès à son intériorité, à ce qu’il se passe dans son propre corps, mais avec une retranscription chiffrée, objective dans un langage mathématique. Il s’agit de données dépourvues d’affects, mais qui concernent ce qui se passe à l’intérieur du corps. Avoir accès à tous ces chiffres peut être rassurant et donner une impression de contrôle et l’on peut avoir tendance à vouloir vérifier et consulter ces chiffres très fréquemment au début de l’utilisation d’un capteur en continu notamment.
Le risque est alors que l’on assiste à une externalisation du contrôle de ses sensations, c’est-à-dire à une perte de la fiabilité dans les sensations de son propre corps. La machine peut alors engendrer une sorte de dissociation avec son corps et empêcher d’être à son écoute. La machine donne des informations utiles et indispensables pour le traitement du diabète, mais l’écoute bienveillante et consciente de son corps reste essentielle pour l’appropriation de la maladie dans le sens d’une connaissance intime et subjective de ses sensations de variations glycémiques. Quand on a une maladie chronique comme le diabète, apprivoiser le nouveau fonctionnement de son corps passe par cet apprentissage d’être à son écoute pour en ressentir les signes d’hyper et d’hypo par exemple.
Cela pose évidemment la question du type de relation que l’on va construire avec ces machines et de l’autonomie que l’on ressent vis-à-vis d’elles. Des difficultés voire des angoisses peuvent émerger quand l’individu a par exemple le sentiment que son identité ne tient qu’à la relation de support avec la machine, le corps peut alors être vécu comme « robotisé » et faire vivre un sentiment d’effraction ou d’intrusion vis-à-vis de la machine. Fréderic Tordo explique que l’appropriation d’un dispositif technologique implanté doit passer par la création psychique d’une sorte d’alliance, de contenance mutuelle. La machine contient des données personnelles autant que l’individu peut éprouver la sensation de contenir la machine comme faisant partie de lui. « Au début, c’est un corps étranger, hostile et résistant. Mais une fois l’apprentissage réussi, elle devient un second squelette, une seconde peau ». À rebours, lorsque le dispositif technologique est vécu comme étranger à son corps mais aussi à sa pensée, et non pas comme un prolongement de son corps, cette contenance mutuelle ne peut aboutir et peut conduire à des vécus d’hostilité.
Quel impact de la machine dans la relation parent/enfant ?
La question de l’autonomie vis-à-vis de la machine est évidemment cruciale dans le lien parent/enfant quand l’enfant porte une pompe à insuline ou un appareil de mesure en continu du glucose. Quelle place va occuper la machine dans le lien parent/enfant ?
S’il est évident que pour un enfant qui déclare très jeune un diabète de type 1, l’apprentissage et l’utilisation d’une pompe à insuline et/ou d’un capteur se fait d’abord essentiellement par les parents, le cheminement d’appropriation de ces machines par l’enfant doit se faire autant que le cheminement d’appropriation de sa maladie.
Au début, la machine est pour les parents un outil de contrôle et de soin indispensable dans la prise en charge du diabète de leur enfant. Mais, petit à petit, avec l’acquisition d’une autonomie grandissante, l’enfant doit pouvoir s’approprier ces machines comme étant tout à fait à lui et non plus comme étant un « cordon » entre lui et ses parents. Le risque est en effet que l’enfant ait le sentiment que son corps ne lui appartienne plus tout à fait à partir du moment où la machine est constamment regardée par un autre. Il s’agit finalement surtout de la question du regard que les parents vont porter sur ces machines, un regard de contrôle ou un regard de partage. Mais également de la place que l’enfant peut avoir dans le regard que les parents auront sur les données de la machine.
Le risque peut en effet être qu’un enfant puisse avoir le sentiment que ses parents vont davantage faire confiance à la machine plutôt qu’à sa parole lorsqu’il va par exemple leur dire qu’il ne sent pas bien (comme un début d’hypoglycémie) alors que la machine montre le contraire. Dans ce cas-là, la machine ne peut évidemment pas devenir un allié pour l’enfant car elle devient un outil de contrôle de la part des parents.
Tous les nouveaux outils de contrôle à distance que l’on peut trouver aujourd’hui répondent évidemment à un besoin de réassurance des parents, mais peuvent aussi entraver la relation de confiance et le processus d’autonomisation indispensable pour la construction identitaire de leur enfant. Trouver la bonne place à ces outils technologiques de soin, mais aussi de contrôle dans la relation parent/enfant n’est évidemment pas une chose aisée, mais mérite toujours d’être interrogé pour permettre à l’enfant de construire son identité avec sa maladie et son mode de traitement.
La figure du « cyborg »
Pour finir cette réflexion autour du lien avec les machines, il paraît intéressant d’évoquer la notion de cyborg que l’on entend de plus en plus avec l’apparition de dispositifs implantés et connectés. Par définition, un cyborg (de l’anglais « cybernetic organism » organisme cybernétique) est un être humain qui a reçu une greffe ou un implant mécanique ou électronique. Si ce terme renvoie surtout à des représentations futuristes ou à la science-fiction, il est aujourd’hui de plus en plus associé aux questions de l’homme augmenté ou réparé par des dispositifs technologiques implantés.
Dans la vie d’une personne avec un diabète porteur d’une pompe à insuline, ce terme peut émerger soit sous forme d’insulte (se faire « traiter de cyborg »), mais aussi comme une sorte d’identité dans laquelle il peut se reconnaître. Dans son ouvrage « Le Moi-Cyborg », Frederic Tordo propose une réflexion passionnante autour de la transformation psychique liée aux objets connectés. Pour lui, ces dispositifs implantés induisent non seulement une métamorphose du corps, mais également une métamorphose du Moi qui devient le Moi Cyborg. « Le Moi-cyborg est une figuration dont le moi du sujet se sert pour se représenter la technologie comme faisant partie de son corps et de son psychisme. »
Cela permet de dire que l’efficacité thérapeutique d’objets technologiques implantés comme une pompe à insuline ou un capteur de glucose ne dépend pas uniquement de leurs qualités techniques ou fonctionnelles, mais également et surtout de l’intégration psychique que l’individu peut en faire.
C’est aussi pour cela que les adolescents éprouvent parfois le besoin de rendre ces machines à « leur image » en les habillant, en les « customisant » pour qu’elles deviennent une partie de leur identité comme le choix d’un look par exemple. (Peut-être que la question de l’esthétique des pompes à insuline ou des systèmes de mesure en continu du glucose pourraient d’ailleurs être le prochain défi relevé par les fabricants pour faciliter leur appropriation !)
Pour conclure, voici un témoignage trouvé sur un des nombreux forums qui donnent la parole aux personnes avec un diabète : « Ces technologies ont révolutionné ma vie et ont rendu ma vie de funambule plus facile, mais elles m’ont aussi révélé la honte que je ressentais à propos de mon diabète désormais visible. C’est une épreuve étrange et difficile de s’adapter à une nouvelle image du corps qui inclut des fils et des machines. Être un cyborg fait désormais partie de mon identité ».
Bibliographie :
Didier Anzieu, Le Moi-Peau, 1985, Dunod
Frédéric Tordo, Le Moi-Cyborg Psychanalyse et neurosciences de l’homme connecté, 2019, Dunod
Fréderic Tordo, La psyché du corps connecté et transformé, entre contenance et augmentation in Revue Connexions 2018/2 n°110
Françoise Dolto, Paroles pour adolescents ou le Complexe du Homard, 2007,
Folio Junior
Dr Victor Courtecuisse, L’adolescent malade, ce qu’il faut savoir, Armand Colin
France Inter, Matières à penser avec Serge Tisseron
La fratrie face au DT1 d'un frère ou d'une soeur
Par Nadine Hoffmeister
« On ne parle nulle part des frères et sœurs des malades. Comment traversent-ils, eux, ces inconnus, cette histoire de maladie qui semble partout n’être que l’affaire des parents, des médecins ? » Catherine Delauze, Le couloir de la nuit.
L’annonce d’une maladie chronique comme le diabète est un coup de tonnerre. Tout comme leurs parents et leur frère ou sœur malade, la fratrie est confrontée au choc de l’irruption de la maladie dans la famille et à ses conséquences. La maladie déstabilise la famille dans son ensemble, et chacun de ses membres, en les confrontant à l’inconnu, l’inquiétude et à la nécessaire adaptation à venir pour chacun. Relégué au second plan des préoccupations parentales lors de la découverte de la maladie, la fratrie peut traverser des sentiments variés et ambivalents. L’annonce de la maladie provoque une rupture, il y a un avant et un après y compris dans le rôle et la place de chacun au sein de la fratrie.
Quelques mots sur la relation fraternelle
La mythologie ainsi que de nombreux contes de notre enfance nous offrent pléthore de récits autour de la relation fraternelle. Ces mythes et ces contes qui mettent en scène des relations fraternelles décrivent des relations tour à tour harmonieuses (Castor et Pollux, Hansel et Gretel) mais aussi extrêmement conflictuelles et destructrices (Caïn et Abel, Cendrillon). Ces mythes et ces contes mettent en lumière l’ambivalence et la richesse du lien fraternel dont l’enjeu est de trouver un équilibre entre l’amour et la haine. L’amour pour ce semblable si proche mais également haine du fait de la quête de l’exclusivité de l’amour parental.
Ces questions de l’amour et de la haine, du semblable et du différent sont au cœur de la relation fraternelle et vont permettre d’y expérimenter de nombreux sentiments humains fondamentaux et structurants dans un contexte sécurisant (l’enfant peut en effet ressentir des sentiments de haine pour son frère sans craindre de rompre les liens qui les unit). C’est auprès de ses frères et sœurs que l’enfant va se confronter à des sentiments d’agressivité, à la rivalité, la compétition, la jalousie, mais va aussi y tisser des liens d’attachement, d’amitié, de solidarité, de protection, de partage, de complicité.
Pour Marcel Rufo, « la fratrie est une maladie d’amour faite de rivalités et de complicité ».
Ainsi, la relation frères-sœurs est complexe, faite de sentiments contradictoires et violents. On ne choisit pas ses frères et sœurs, ils sont imposés par les parents et la fratrie est le premier groupe de pairs dans lequel l’enfant va devoir s’intégrer, y trouver sa place tout en apprenant à se différencier pour exister par soi-même.
La fratrie joue ainsi un rôle important dans la construction de la personnalité, premier lieu de socialisation, elle permet de vivre des expériences relationnelles structurantes qui guideront les relations sociales à venir.
Jalousie et rivalités
S’il est des sentiments dont il est souvent question quand on parle de fratrie, c’est bien ceux de la jalousie et de la rivalité. De nombreux articles de la presse grand public en direction des parents traitant des relations fraternelles expliquent que la jalousie doit être considérée comme le symptôme d’une souffrance. Les parents peuvent alors se sentir déroutés voire coupables face aux comportements jaloux de leurs enfants. Pour Freud, la jalousie et la rivalité sont des états affectifs normaux et participent au processus de maturation psychique des enfants. La jalousie permet aux enfants d’apprendre à gérer leur agressivité et les aide à se différencier des autres. On peut ainsi attribuer à la jalousie infantile un rôle important dans la construction de la sociabilité et dans le processus de séparation/individuation.
En revanche, la jalousie est évidemment un sentiment extrêmement négatif et douloureux pour celui qui l’éprouve. L’enfant jaloux a besoin d’être plaint et écouté mais il est vain de vouloir faire disparaître le motif de la jalousie en essayant de rendre justice. Il est important pour les parents de sortir du mythe d’une éducation égalitaire qui éviterait toute manifestation de jalousie, tous les enfants ne sont pas identiques et n’ont pas les mêmes besoins. Les parents qui veulent offrir exactement les mêmes choses à chacun de leurs enfants seront quand même contestés : un bonbon identique pourra susciter des tensions, « C’est toujours à mon frère que tu donnes en premier ! ». A ne vouloir reconnaître aucune différence, on attise le sentiment d’injustice car les enfants continuent à faire des comparaisons. Faire comme si les enfants étaient pareils est une illusion et les enfants le perçoivent en général parfaitement. Cette règle sera sans cesse testée par les enfants pour vérifier la cohérence entre ce qui est dit et le ressenti, et surtout pour revendiquer une place particulière : les disputes en témoignent.
Ainsi, l’enjeu de la relation fraternelle est que chaque enfant trouve SA place et cela passe par la reconnaissance par les parents des spécificités de chacun.
La fratrie face à l’annonce du diabète
L’annonce d’une maladie chronique constitue dans un premier temps un choc pour les parents. Ainsi comme l’explique Régine Scelles, « les frères et sœurs, tout comme l’enfant atteint, sont les premiers témoins de la douleur des parents de leur anxiété et de leur tristesse. C’est donc la souffrance des parents qui est d’abord perçue par les enfants, et non la maladie, d’autant que cette notion est très abstraite pour de jeunes esprits. » C’est pour ça que dans un premier temps, ce n’est pas l’explication détaillée de la maladie qui compte pour les frères et sœurs mais surtout des paroles et de l’écoute sur ce qui se passe dans la famille à ce moment-là. Embarqués sur le même bateau, parents, frères et sœurs doivent se préparer à s’adapter ensemble à cette nouvelle « allure de la vie » familiale. Les frères et sœurs ont alors besoin d’interlocuteurs qui ne se dérobent pas face à la réalité de l’impact que le diabète aura sur l’ensemble de la famille. Cela implique évidement également que les équipes médicales ne se dérobent pas non plus au moment de l’annonce en évitant par exemple de dire « rien ne va changer, vous allez pouvoir vivre comme avant ».
Les frères et sœurs peuvent tout d’abord ressentir de l’inquiétude, à la fois inquiets pour leur frère ou sœur malade, pour leurs parents mais aussi pour eux-mêmes (quelle place vais-je avoir ? Qu’est ce qui va changer pour moi ?…)
Les frères et sœurs ont besoin de partager leurs émotions. Parler, être écouté permet de réduire l’étrangeté de la situation et peut éviter que l’enfant se retrouve aux prises avec des sentiments de culpabilité ou de colère. Pour permettre ce partage de paroles en famille, il est important que les parents s’autorisent à exprimer leurs propres vécus émotionnels pour pouvoir légitimer en retour non seulement le ressenti de l’enfant mais également celui des frères et sœurs.
La relation fraternelle mise à l’épreuve
Dans tous les cas, l’annonce d’un diabète peut être considéré comme l’intrusion dans une famille d’une nouvelle donne qui s’impose à tout le monde. Dans un premier temps, il faut faire face à l’urgence et il s’agit alors de réorganiser la vie autour de l’enfant malade, cette priorité laisse peu de place aux états d’âme frères et sœurs qui peuvent alors craindre d’être dorénavant relégué au statut « frère ou sœur de… » et avoir le sentiment d’être négligés par les parents. Le diabète vient modifier l’organisation familiale et chacun va devoir retrouver une nouvelle place.
Le retentissement que va avoir le diabète pour la fratrie est évidement variable et différent selon les familles et va aussi dépendre de plusieurs facteurs (âge, place dans la fratrie, histoire familiale…).
Le premier risque pour les frères et sœurs concerne le devenir des sentiments de jalousie et de rivalité nécessaires au processus d’individuation évoqués plus haut. Peut-il encore s’autoriser à exprimer sa rivalité face à son frère ou sa sœur malade ? Certains frères et sœurs vont alors se débrouiller pour rivaliser en attirant l’attention et obtenir les mêmes privilèges que le frère et la sœur malade c’est-à-dire l’inquiétude des parents en manifestant des troubles du comportement, des difficultés scolaires ou encore des plaintes somatiques. D’autres vont rivaliser en s’identifiant au rôle de « l’enfant qui va bien » et s’adapter à ce désir parental en devenant l’enfant parfait et risquent alors de renoncer à s’affirmer.
Certains frères et sœurs peuvent également éprouver de la culpabilité liée à la jalousie ou l’agressivité qu’ils ressentent envers leur frère ou leur sœur qui attire toute l’attention de leur parent avec son diabète et mettre alors en place des processus de réparation, se traduisant par exemple par une surprotection de leur frère ou sœur en endossant un rôle de soignant ou de parent. Cela peut répondre aussi à un désir de protéger ses parents, essayant d’être pour eux gratifiants et soutenants.
Les frères et sœurs peuvent également s’interroger de manière plus ou moins explicites sur le risque d’avoir la maladie ou plus subtilement se demander pourquoi ils ont été épargnés.
Mais, s’il y a un avant et après le diabète dans les relations fraternelles, car inévitablement cela redistribue les cartes du rôle et de la place de chacun, l’impact n’est évidement pas que négatif. Cette situation qui confronte la fratrie à la différence peut contribuer à enrichir la maturité des enfants, à développer leur empathie et leur capacité à faire face à des épreuves de la vie.
Accompagner la fratrie de l’enfant ayant un diabète
Les fratries ne sont pas toujours prises en compte dans l’accompagnement médical du diabète, il semble pourtant important de pouvoir intégrer les frères et sœurs dans la prise en charge. Rencontrer la fratrie permet en effet aux soignants d’assurer une meilleure compréhension de la maladie par les frères et sœur en délivrant aux enfants des explications adaptées à leur âge. Proposer de rencontrer les frères et sœurs peut également être l’occasion de libérer la parole et de verbaliser une souffrance dissimulée et de pouvoir éventuellement repérer un besoin ou une demande de prise en charge par un psychologue. Il est ainsi intéressant pour les équipes soignantes de prendre régulièrement des nouvelles des frères et sœurs auprès des parents.
Dans un joli travail personnel pour le concours d’entrée à la FEMIS (Ecole nationale des métiers de l’image et du son), Benjamin Ramelet, DID depuis l’âge de 13 ans, explique son cheminement d’adaptation au diabète en parlant de métamorphose, « le diabète métamorphose nos vies […] c’est inéluctable, nous y sommes destinés telle la chenille destinée à se métamorphoser en papillon. »
Cette métamorphose s’opère également dans la fratrie, le diabète d’un frère ou d’une sœur va s’intégrer dans la construction de la personnalité et y laisser une empreinte (dans un choix de métier par exemple).
Bibliographie :
Ruffo Marcel, Frères et sœurs, une maladie d’amour, Le livre de Poche, 2002
Scelles Régine, Fratrie et Handicap, L’Harmattan, 1997
Korff-Sausse Simone, Le miroir brisé, Calmann-Lévy, 1996
Revol Olivier, L’enfant différent dans sa fratrie : le vilain petit canard, Réalités Pédiatriques, avril/mai 2015
Griot Marion, Lorsqu’un membre de la fratrie est en situation de handicap, Site « Enfant différent », 2014
Freud Sigmund, Leçons d’introduction à la psychanalyse, PUF, 1915
Le regard de l'autre : épreuve ou bienfait ?
Par Nadine Hoffmeister
Quand on a une maladie chronique comme le diabète de type 1, le regard des autres est parfois difficile à assumer, et peut même être effrayant. Bien que notre société nous incite en permanence à ne pas s’en soucier, oublier le regard des autres semble plus facile à dire qu’à faire.
La question du regard de l’autre nous renvoie d’emblée à la célèbre phrase de Sartre, « l’enfer, c’est les autres », qui conclut sa pièce de théâtre Huis Clos, dans laquelle trois personnages enfermés dans une pièce sont condamnés à être pour toujours exposés au regard des autres.
La mythologie nous offre également beaucoup de récits dans lesquels le regard de l’autre prend une place primordiale : si Méduse est capable de pétrifier quiconque la regarde, Actéon sera puni d’avoir regardé la déesse Diane se baigner nue.
Tous ces exemples laissent croire que le regard de l’autre est une épreuve, mais il peut devenir une expérience heureuse.
Stade du miroir et reconnaissance de soi
Le regard de l’autre est, tout d’abord, sur un plan psychologique, fondateur de notre sentiment d’existence. À sa naissance, le nourrisson ne fait pas de différence entre lui et sa mère, il possède alors une image inconsciente de son corps non séparé de celui de sa mère. C’est vers 6 et 18 mois que l’enfant, porté par sa mère, finit par reconnaître son image dans un miroir. Cette expérience est une étape essentielle dans le développement de l’enfant.
Jacques Lacan, psychanalyste, a fait de ce « stade du miroir » une étape fondamentale dans la construction de la personnalité. Ce stade du miroir est le formateur de la fonction « sujet » c’est-à-dire le « je ». Mais cette fonction ne peut se mettre en place que par la présence de l’autre. C’est dans le regard et à travers les paroles de cet autre (parental), tout autant que dans sa propre image reflétée dans le miroir, que l’enfant reconnaît son unité. En effet, l’enfant devant le miroir reconnaît tout d’abord l’autre, l’adulte à ses côtés, qui lui dit « Regarde, c’est toi ! » et ainsi l’enfant comprend « C’est moi ».
Ainsi, le regard de l’autre est fondamental dans la construction de l’identité de l’enfant. « J’ai besoin de l’autre pour me reconnaître. »
Nous avons donc tous besoin de l’autre pour nous constituer.
L’étape structurante du stade du miroir permet ainsi de mettre en évidence l’importance du regard des autres dans la construction de la personnalité et dans la conscience qu’un sujet a de lui-même.
Par la suite, l’enfant intériorise les sentiments, les jugements qu’il lit dans le regard de ses parents. L’enfant vit et se construit sous et à travers le regard de ses parents.
Être regardé permet également à l’enfant d’être reconnu, confirmé, d’exister aux yeux de ses parents et de se sentir important pour eux.
L’irruption du diabète dans la vie de l’enfant peut alors provoquer chez certains enfants la peur de ne plus se reconnaître dans les yeux de leurs parents. « Je ne suis plus comme je l’étais avant dans les yeux de mes parents, m’aimeront-ils encore ? ». D’autant plus qu’après l’annonce du diagnostic, il peut arriver que les parents ne voient plus leur enfant de la même manière qu’avant, il aura à leurs yeux une certaine fragilité, une étrangeté dans un premier temps.
Après le choc de l’annonce et l’angoisse de ne plus se reconnaître face à l’inconnu, commence alors pour l’enfant et pour ses parents le travail d’appropriation et d’adaptation à cette « nouvelle allure de la vie » et cela se fait aussi par un jeu de regards mutuels. Petit à petit, l’enfant retrouve son unité dans les yeux de ses parents et y trouve aussi la confiance nécessaire pour apprivoiser cette part nouvelle de son identité que représente le diabète. Les parents, eux, voient petit à petit, dans les yeux de leur enfant, sa formidable capacité d’adaptation et retrouvent alors leur enfant, avant de voir le diabète.
Cela nécessite avant tout de la part des parents de regarder leur enfant, car l’enfant qui peut évidemment se sentir fragilisé par cet intrus qu’est le diabète, cherche dans le regard de ses parents à satisfaire son besoin de réassurance et de confirmation pour parvenir à apprivoiser cet intrus.
Le regard de l’autre permet donc avant tout de voir qui on est. « Je reconnais qui je suis à l’autre qui me voit ».
Le regard comme épreuve dans la construction de son identité
Le regard de l’autre, des parents, peut devenir douloureux si l’enfant se voit dans leurs yeux réduit à son diabète. C’est dans ce sens que l’on conseille ainsi souvent aux parents de dire de son enfant qu’il « a un diabète » plutôt de dire qu’il « est diabétique » pour ne pas réduire son enfant au diabète.
Le regard de l’autre, des autres, ceux qui comptent, peut ainsi être une épreuve quand il fige dans une identité.
C’est dans ce sens que Sartre dit « l’enfer, c’est les autres », c’est-à-dire que se sentir objectivé par une personne dont on aimerait être reconnu (les parents, les pairs, les professeurs…) est une expérience douloureuse. Ce vécu peut conduire à construire une image négative de soi-même car on risque d’intérioriser ce regard de l’autre et tendre à se voir comme l’autre nous voit. En ce sens « l’enfer c’est ce jugement de l’autre que je fais mien ».
Le regard de l’autre nous renvoie à nous même
Pour Sartre, « nous ne sommes nous qu’aux yeux des autres, et c’est à partir du regard des autres que nous nous assumons nous-même ». Cela veut dire, qu’au fond, les autres sont ce qu’il y a de plus important pour nous, même pour la connaissance de nous-même. Pour avoir une image de moi-même, il faut passer par l’autre.
Le regard de l’autre, lorsqu’il est bienveillant, peut alors être un véritable soutien dans le chemin d’appropriation d’une nouvelle vie avec une maladie chronique. C’est évidemment dans un travail de soi avec soi que l’on apprend à vivre avec le diabète mais cela ne peut pas se faire sans les autres. Le regard de l’autre peut alors aboutir au sentiment de fierté d’être ce que l’on est et donner confiance en l’avenir même si l’on passe par des moments difficiles.
C’est sous le regard de ses parents admiratifs qu’un enfant va se sentir fier de réussir à se piquer seul pour la première fois par exemple. C’est ainsi que peut s’ouvrir pour lui la possibilité de devenir autonome grâce au regard de ses parents qui le soutiennent et lui reconnaissent ses capacités.
Quand l’enfant grandit, il va être évidemment de plus en plus confronté à d’autres regards, celui des pairs, des professeurs, d’autres adultes… et le regard de ces autres peut être déstabilisant quand on est une personne en devenir.
C’est cette difficulté qui se donne à voir à l’adolescence, période de la vie où le regard des autres est crucial car l’adolescent est justement aux prises avec la construction de son identité. Le diabète peut alors devenir la part de lui-même qu’il cherchera à cacher aux autres pour se sentir comme les autres. C’est aussi sous le regard des autres qu’il peut ressentir « la honte d’être diabétique » et avoir peur d’être exclu. C’est alors tout le travail du processus de l’adolescence, sous le regard bienveillant et encourageant de ses parents (et de tous ceux qui l’aiment et l’accompagnent), qui, petit à petit, permettra à l’adolescent de s’extraire de cette peur du regard de l’autre et trouver le chemin de la liberté d’être soi.
Au fond, à ce moment-là de la vie, le regard de l’autre est une véritable épreuve mais dans le sens où c’est une étape dans laquelle on se construit pour devenir libre et autonome.
Réussir à faire ses soins sous le regard des autres par exemple montre que l’on est sorti de la peur du jugement de l’autre.
Si le regard de l’autre est indispensable dans la construction de notre personnalité et nécessaire à la révélation de nous-même, il s’agit de ne pas y être aliéné c’est-à-dire dépendant afin de parvenir à la conquête de notre liberté. L’enfer pour Sartre se situe en effet dans l’aliénation au regard de l’autre car elle entrave la liberté.
Se sortir de la dépendance du regard de l’autre n’est évidemment pas chose aisée ni acquise une fois pour toute, car des expériences relationnelles malheureuses, surtout à l’époque où une personne se construit, peuvent venir altérer son image de soi. Le risque est toujours de se perdre dans le regard de l’autre en s’appropriant le jugement de l’autre. Se faire traiter d’extraterrestre par exemple quand on sort sa pompe, peut aboutir à intérioriser cette image d’être « anormal », différent ou moins bien que les autres.
Le vécu négatif du regard de l’autre peut ainsi témoigner d’une appropriation encore douloureuse de sa maladie. Cela va alors nécessiter un travail de reconstruction de l’image se soi et cela ne peut se faire qu’avec les autres (famille, amis, psy, équipe soignante…) pour ne pas sombrer dans le repli sur soi.
En somme, pour sortir de « l’enfer » que peut nous faire vivre le regard de l’autre quand celui-ci est méprisant, il faut advenir en tant que sujet libre et autonome et cela passe aussi par le regard bienveillant des autres.
Cela permet alors aussi de considérer l’autre non plus seulement comme celui qui me fige dans un jugement ou une identité et dont je me sens l’objet mais comme un autre « sujet » dont je peux percevoir la subjectivité. Face à quelqu’un qui, par exemple, émet un jugement sous forme d’idée reçue – « tu es diabétique car tu as mangé trop de sucre » – nous pouvons tout d’abord y entendre son ignorance mais également percevoir la pensée magique dans laquelle il est enfermé : « si je ne mange pas trop de sucre, je ne risque pas de devenir diabétique ». Face à l’autre qui tente de nous réduire à un objet dans le but de se protéger lui-même de sa peur provoquée par son ignorance, nous avons donc la liberté de nous affirmer face à lui ou de l’ignorer (et de le laisser alors dans son propre enfer), fort de notre connaissance de nous-même et porté par le regard de ceux qui nous ont aidés à nous construire.
Bibliographie :
J. Lacan, Le stade du miroir comme formateur de la fonction Je : telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique, PUF, 1949
J.P. Sartre, Huis Clos, Gallimard, 1943
J.P. Sartre, L’Être et le Néant, Gallimard, 1943
G. Canguilhem, Le normal et le pathologique, PUF, 1966
La honte
Par Nadine Hoffmeister
La honte et la maladie. Il peut paraître surprenant d’associer deux thèmes aussi éloignés l’un de l’autre, honte et maladie somatique. Pourtant, la honte peut jouer un rôle non négligeable dans le parcours de vie d’une personne atteinte d’une maladie chronique comme le diabète, non négligeable et surtout à ne pas négliger, car la honte est un sentiment très destructeur.
La honte n’est pas la culpabilité
Face au diagnostic d’un diabète, le sentiment de culpabilité est presque inévitable, il se présente à un moment où un autre en réponse à la question : « pourquoi ?». La recherche d’une cause, d’une logique s’impose à tous les malades ou à leurs parents dans leurs tentatives de donner du sens à ce qui leur arrive. La culpabilisation est en quelque sorte une façon de prendre le contrôle, de chercher une forme de maîtrise de la maladie, de chercher du sens. Ainsi, aussi pénible et douloureux qu’il soit, le sentiment de culpabilité est une réponse juste et normale à la perte de sens que peut provoquer l’annonce d’un diabète. Évidemment tout comme un deuil peut devenir pathologique, le sentiment de culpabilité peut également devenir toxique quand il débouche sur de la dévalorisation personnelle, il devient alors contreproductif et doit être défait ou réparé. Le sentiment de culpabilité peut en effet appeler réparation, pardon, reconnaissance. Celui qui se sent coupable en l’exprimant peut espérer purger « sa faute » et s’en libérer.
Qu’est-ce que la honte ?
La question de la honte est beaucoup plus complexe. Il s’agit d’une émotion différente de toutes les autres de part son caractère catastrophique. Il s’agit surtout d’une émotion dont on parle peu, car elle est justement de l’ordre de l’indicible (que l’on ne peut pas dire). Contrairement à la culpabilité, la honte ne se répare pas, elle ne concerne pas ce que l’on fait, mais ce que l’on est. On a simplement honte de ce que l’on est. La honte est un sentiment de dégradation de soi et d’humiliation qui créé une angoisse, une angoisse d’exclusion. Les manières de parler de la honte sont d’ailleurs explicites : « J’aurais voulu disparaître, me cacher, ne pas être là… ». Ces expressions évoquent non seulement un sentiment de perte de liens aux autres, mais également un sentiment de marginalisation.
La honte est un sentiment terrible parce que celui qui l’éprouve craint d’être définitivement exclu du groupe dont il fait partie. La honte est ainsi extrêmement difficile et douloureuse à vivre, car elle fait éprouver des angoisses déshumanisantes. Il s’agit d’une émotion à la fois totalement individuelle, mais également totalement sociale dans la mesure où la honte vient devant le regard de l’autre. Il n’y a de honte que reliée au social, au collectif, au regard de l’autre, à l’image. C’est une émotion brutale qui surgit à la suite d’un sentiment soudain de dévalorisation de soi-même sous le regard de l’autre.
Il est ainsi très important d’apprendre à reconnaître la honte, car elle est une expérience de marginalisation qui nécessite un travail de réinsertion, de reconstruction.
La honte d’être malade
Autrefois on parlait de « maladies honteuses » qui sous-entendaient une forme d’immoralité, de punition divine et de responsabilité. Aujourd’hui le regard sur la maladie a changé, mais force est de constater que la honte d’être malade n’a pas disparu. Il est heureusement de plus en plus admis que nous ne sommes pas responsables de nos maladies. On peut donc légitimement se demander ce que la honte vient faire dans un contexte de maladie. Autant la souffrance semble légitime, autant la honte paraît ici déplacée. Pourtant la honte prend une place non négligeable dans le difficile travail d’adaptation à la maladie. La honte n’est pas seulement liée à ce qui se fait ou ne se fait pas socialement ou moralement. La honte touche l’être même, elle est une partie constitutive du rapport que les êtres humains entretiennent avec eux-mêmes, avec leur corps et avec autrui.
La honte est d’abord une marque négative de l’identité, ne pas être comme les autres. L’affirmation d’un enfant ou d’un adolescent ayant un diabète « je ne suis pas comme les autres » peut provoquer la honte et la douleur de ne pas l’être. La première forme de honte est ainsi liée à l’identité « négativée » qui provoque une perte de l’estime de soi. L’enfant ou l’adolescent qui subit ou a subi des railleries au moment de s’injecter son insuline par exemple peut être aux prises brutalement avec ce sentiment de « la honte d’être diabétique ».
Selon Serge Tisseron dans son ouvrage « La Honte », ressentir de la honte c’est craindre de perdre 3 choses : l’amour de ses proches, l’estime de soi-même, et les liens à sa communauté de rattachement (par exemple le lien avec ses pairs au collège).
À l’adolescence, l’expérience commune montre que la honte peut prendre une grande place. Le regard de l’autre, des pairs est crucial à cette période. Cela peut presque se résumer ainsi : « Je reconnais qui je suis à l’autre qui me voit ». Le sentiment de honte peut apparaître chez un adolescent qui a un diabète, car le diabète, par son traitement, entraîne un dévoilement particulièrement compliqué à supporter au moment de l’adolescence où l’on éprouve plutôt le besoin de se cacher. L’adolescent peut ressentir de la honte quand il se sent dévoilé, démasqué, mis à nu, car comme l’explique justement Victor Courtecuisse dans son ouvrage « L’adolescent malade, ce qu’il faut savoir », « Tous les animaux qui muent, changent de peau, aiment à le faire à l’abri des regards ». La honte est une émotion brutale qui surgit en effet exactement à l’instant d’un dévoilement, sous le regard de l’autre.
Un adolescent qui a honte craint alors le jugement de l’autre et surtout l’angoisse d’être exclu, d’être marginalisé, ce qui est évidemment une angoisse terrible à cet âge.
Les conséquences de la honte
La honte peut avoir de lourdes conséquences, car elle peut conduire à renoncer à certains choix parce que l’enfant ou l’adolescent peut se sentir confusément indigne et peut alors redouter d’être exposé au regard de l’autre. Le danger de la honte c’est la résignation. L’enfant ou l’adolescent qui a honte de son diabète risque de renoncer à tout espoir de sortir de cette honte et de s’y perdre. « Je crois que personne ne pourra tomber amoureux de moi, car je suis diabétique ».
Dans le cadre d’une maladie chronique, comme le diabète, la honte de sa maladie, la peur de l’exclusion, peuvent également avoir comme conséquence de ne pas bien se soigner « se faire du mal plutôt que de ne pas exister ».
Le sentiment de honte peut alors induire une inhibition, un repli sur soi, car il impose de se cacher et bloque la communication, car on a honte d’en parler. C’est bien là le paradoxe de la honte : pour parvenir à sortir de cet isolement, il faudrait pouvoir dire la honte, mais la dire expose encore une fois au regard de l’autre et au risque de l’aggraver.
La honte n’est pas une fatalité
Serge Tisseron explique que face à une personne atteinte d’une maladie chronique en souffrance, il est important d’envisager l’expérience de la honte indicible qu’elle peut vivre (ou avoir vécu) autour de sa maladie. « Il est parfois utile de nommer cette éventualité, et en tout cas toujours utile d’y penser. » On peut en effet penser que la cause de la souffrance ou du mal-être réside seule dans la nature de la maladie, chronique, contraignante, mais en réalité ce dont ces personnes sont souvent victimes c’est du regard que les autres peuvent porter sur elles. Le regard de l’autre est au moins aussi important que la difficulté de la maladie en elle-même.
« La honte est une atteinte dont personne ne peut se relever seul ». Nathalie Zaltzman
La honte doit ainsi être perçue comme un signal, une détresse muette qu’il s’agit de décrypter. Pouvoir dire la honte c’est déjà prendre de la distance et s’en protéger. Le dépassement de la honte nécessite le partage de cet affect. La reconnaissance de la honte et le fait de nommer ce sentiment est essentiel et structurant.
Un travail de restauration de l’image de soi peut alors s’envisager. Ce travail s’effectue non seulement dans la relation de soi à soi, mais se fait aussi par et avec les autres. Surmonter la honte, c’est accepter de s’exposer au regard de l’autre. Le lien avec l’entourage, familial, mais aussi médical, compréhensif et bienveillant, dans lequel se construit l’estime de soi, est ainsi essentiel pour que l’enfant ou l’adolescent, qui ressent de la honte d’être ce qu’il est, puisse se reconstruire une bonne image de lui-même et puisse retrouver confiance. Pour un adolescent qui a un diabète, être à même de réaliser ses soins devant les autres est, par exemple, un excellent signe qu’il a pu et su surmonter un tel sentiment.
La question de la dépendance est une notion très liée au sentiment de honte. La pression de l’indépendance et de l’autonomisation excessive peut faire émerger la honte de la dépendance. Un enfant ou un adolescent peut avoir honte de se sentir dépendant dans la prise en charge de son diabète. Il s’agit alors de l’accompagner vers l’acceptation de ce lien primordial voire vital de dépendance vis-à-vis de ceux qui font du bien, aiment et aident à se construire. Cela intègre les parents, les soignants, les pairs, mais aussi l’insuline ou la pompe par exemple.
Une fois démasquée, la honte peut alors se dépasser ou se transformer. Ce dont on a eu honte peut véritablement devenir une force et même donner des ailes. Un enfant qui a eu honte, car on portait sur lui un regard réducteur (« la natation, ça va être compliqué avec un diabète ») peut développer l’ambition tenace de devenir sportif de haut niveau par exemple.
Diabète et Liberté
Par Nadine Hoffmeister
Après le choc du diagnostic, l’annonce d’un diabète est souvent vécue comme une privation de liberté et de perte d’autonomie. Les injections d’insuline, les contrôles de glycémie, le comptage des glucides, le respect des horaires et la notion de chronicité peuvent être perçus comme autant d’obstacles à la liberté et à une vie « normale ». Liberté et diabète pourraient en effet être considérés comme antinomiques dans la mesure où la maladie chronique s’impose, contraint, oblige alors que la liberté serait l’absence de toutes contraintes.
Qu’est-ce qu’être libre ?
Pour être libre de circuler par exemple, il faut des règles : le code de la route. Chacun doit alors accepter une limite à sa liberté (attendre à un feu rouge par exemple) pour que la liberté de circuler puisse se réaliser. Et si en cas de panne du feu rouge la circulation s’autorégule, c’est qu’il y a une intériorisation de la règle. Cet exemple permet d’illustrer le caractère libérateur de la règle. La liberté n’est donc pas l’absence totale de contraintes ou de règles. L’absence de règle, l’anomie, conduit au chaos et non à la liberté. Plus on est libre, plus on a besoin de lois et de règlements.
Etre libre c’est tout d’abord être sujet, être autonome au sens étymologique du terme (auto > qui renvoie à soi et nomos > la loi, la règle) c’est-à-dire être capable de se donner à soi-même ses propres règles. Pour être libre il faut être autonome c’est-à-dire avoir intégré ses propres règles de ce qu’il faut faire et non plus être soumis à des lois extérieures qui dictent ce que l’on ne peut pas faire.
La liberté nécessite des règles et l’autonomie nécessite l’intériorisation de ces règles.
La question de l’autonomie est essentielle dans la quête de la liberté face au diabète. Il s’agit alors de distinguer l’autonomie et l’hétéronomie, d’un coté on s’applique ses propres règles et de l’autre il s’agit d’obéir à des règles extérieures. Dans son ouvrage « Le patient autonome », Philippe Barrier explique l’importance de construire ses propres règles internes pour être libre d’être autonome. L’annonce d’un diabète et surtout la nécessité d’un traitement quotidien sera d’abord vécue comme une contrainte c’est-à-dire comme une règle imposée de l’extérieur à laquelle il faut se soumettre à cause de la maladie. Mais la quête de l’autonomie consiste justement à ne plus considérer ces règles comme quelque chose d’imposé de l’extérieur comme une contrainte qui viendrait réduire la liberté, mais à y voir une nouvelle règle intérieure à construire. Les règles viennent d’abord de l’extérieur au travers du discours médical mais c’est une règle interne qu’il faut découvrir.
Une maladie chronique comme le diabète est effectivement d’emblée une épreuve de l’autonomie et de la liberté. Le diabète met à l’épreuve car il exige un véritable travail d’adaptation et de réajustement de la liberté qui est à réinventer dans un contexte nouveau (la maladie).
Ainsi, la liberté est une conquête. La liberté, ça ne se donne pas, ça se prend ! L’autonomie est un point d’arrivée, un objectif et même un désir. A l’annonce du diagnostic, il y a d’abord un ébranlement, un sentiment de perte mais c’est également le début d’une reconquête, non pas pour redevenir « comme avant » mais une reconquête de sa liberté, une reconquête de soi.
Pour aller à la conquête de la liberté il faut d’abord reconnaître la fragilisation profonde que provoque le diagnostic car si la conquête de la liberté est un cheminement, ce cheminement est semé d’obstacles, « la vie avec le diabète n’est pas un long fleuve tranquille ». Il est important de ne pas minimiser le bouleversement que provoque l’entrée dans une maladie chronique comme le diabète car cela reviendrait à nier le difficile travail d’adaptation et d’acclimatation à cette nouvelle « allure de vie » comme le dit Canguilhem. L’enjeu de ce travail, (Philippe Barrier emploie même le mot de « combat » qu’induit en effet la notion de conquête), n’est pas de vaincre la maladie mais de la contrer à la fois sur le plan biologique grâce au traitement, mais aussi sur le plan psychologique en ne mésestimant pas son pouvoir de destruction psychique (qui peut conduire à la dépression).
L’adolescence illustre parfois douloureusement la difficulté de cette conquête de la liberté avec un diabète. On peut en effet observer une remise en question des soins qui paraissaient jusqu’alors librement (ou passivement) acceptés par l’enfant. L’adolescent peut se croire libre en ne se soignant pas, il ne perçoit pas d’emblée la véritable contrainte à laquelle il se soumet. La maladie, le traitement, la dépendance aux autres peuvent en effet provoquer des conflits psychiques tels, que l’adolescent va tenter de résoudre ce mal être en refusant la réalité du diabète. Philippe Jeammet, dans son article « Se détruire pour exister, un paradoxe humain », insiste sur l’idée que l’adolescent qui présente un comportement autodestructeur (ne pas se soigner ou ne pas bien se soigner) ne le choisit pas. On ne choisit pas d’aller mal, ni de se faire du mal. Ce n’est pas un choix mais une contrainte face à une souffrance interne. La contrainte se situe du côté de la servitude et non de la liberté. Retrouver le chemin de la liberté passe alors par les autres, cette dépendance aux autres peut être difficile à admettre pour un adolescent, il s’agit donc de trouver la bonne distance relationnelle (le fameux « ni trop près ni trop loin »). C’est par l’écoute, le dialogue et une prise en charge bienveillante que l’on peut aider l’adolescent à découvrir par lui-même que le traitement de son diabète ne constitue plus le problème mais la solution dans sa quête et son désir de liberté. Il s’agit alors de renforcer la confiance en soi et en les autres car c’est ce sentiment de sécurité intérieure qui permet d’être libre et autonome. Il s’agit également de donner envie de se soigner c’est-à-dire d’éveiller ce désir libérateur d’être autonome. Donner l’envie de maîtriser le diabète plutôt que d’être maîtrisé par lui.
Le rôle des parents mais aussi des soignants est donc de faire advenir un sujet libre et autonome en lui permettant de développer la capacité d’autodétermination, de libre choix qui conduit à la maîtrise de soi. Mais il s’agit bien là d’un processus, l’autonomie est perpétuellement en cours d’acquisition, une adaptation constante aux exigences de la liberté.
En ce qui concerne les enfants, la question de l’autonomie se pose rapidement dans la prise en charge du diabète. Pour un enfant, être autonome ne veut pas dire « savoir tout faire tout seul ». L’autonomisation excessive est un écueil, surtout dans notre culture actuelle qui prône l’autonomie trop précoce et une « perfection » dans tous les domaines. Un enfant ne peut pas être responsable de sa santé. Il peut apprendre à faire pour apprendre à vivre avec le diabète. Mais pour qu’il ne demeure pas un simple exécutant il est essentiel de toujours s’adapter à l’âge et à la maturité de l’enfant et d’évaluer régulièrement ses connaissances liées au diabète (connaître et savoir réaliser les gestes techniques ne veut pas toujours dire que l’enfant les comprend). Le rôle des parents et des soignants n’est ainsi pas seulement d’apprendre à l’enfant à se soigner seul mais surtout de lui apprendre à réfléchir par lui-même. Il ne s’agit pas uniquement d’acquérir des compétences pour savoir se soigner mais d’apprendre à vivre avec le diabète et de se construire en tant que sujet libre et autonome.
Dans une réflexion sur la liberté dans le cadre d’une maladie chronique comme le diabète, le stoïcisme est une grande école philosophique de la liberté lorsqu’on est confronté à l’adversité. La règle d’or pour les stoïciens consiste à apprendre ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas. C’est bien la question face au diabète, on ne peut changer le diagnostic mais on peut conquérir une nouvelle liberté en acceptant l’idée qu’un traitement apporte de la liberté (la liberté de ne pas subir la maladie). Il ne s’agit plus alors de se « soumettre » à un traitement contraignant, ce qui induit l’idée de résignation, mais d’y consentir volontairement, ce qui induit l’idée d’acceptation active, donc de liberté.
Pour Descartes par exemple, ce qui dépend de nous c’est notre jugement sur les choses, c’est-à-dire nos représentations. Pour lui, il n’y a pas d’obstacles en soi car on peut toujours exercer sa liberté intérieure. La liberté consiste alors à agir sur ce sur quoi on a pouvoir. Or on a un pouvoir entier sur soi, ses représentations et ses désirs. On peut donc changer son désir afin de l’accorder au réel et de supprimer ainsi la cause de sa souffrance et de sa servitude. Descartes pousse son raisonnement jusqu’à dire que ceux qui ont rencontré des obstacles dans la vie (par exemple la maladie) sont plus armés pour mettre en œuvre des ressources intérieures de reconquête de la liberté et donc plus favorisé face à l’adversité que ceux qui vivent dans l’illusion que la liberté ne dépend pas d’eux car ils n’ont jamais eu à la conquérir.
Ainsi, apprendre à vivre avec le diabète peut permettre de reconquérir la liberté que l’on pensait avoir perdu au moment de l’annonce de la maladie et de son traitement.
Le diabète : intru et familier
Par Nadine Hoffmeister
En 1919, Freud introduit la notion « d’inquiétante étrangeté » pour désigner ce sentiment étrange et troublant de malaise que l’on ressent quand ce qui nous était familier devient tout à coup étranger.
Pour expliquer ce sentiment, il donne un exemple de sa propre vie, où lors d’un voyage en train il voit un vieil homme entrer dans son compartiment avant de s’apercevoir avec effroi, quelques instants plus tard, qu’il s’agissait de son propre reflet dans la vitre de la porte qui s’était ouverte. Il s’agit d’une expérience déplaisante du fait que l’on ne se reconnaisse pas et qu’en plus cet « étrange nous-même » nous déplaise. Il s’agit d’une forme particulière de l’effrayant, qui provoque une désorientation, une perte de repères : on ne sait plus à quoi s’en tenir, car le familier, ce que l’on a connu depuis toujours, n’est plus fiable.
C’est un rapport soudain étrange et étranger à son propre corps qui peut apparaître suite à l’annonce d’une maladie, qui plus est chronique. Une étrangeté qui se révèle au cœur de l’intime, du plus familier. L’inquiétante étrangeté peut aussi être considérée comme une étrange familiarité car cela nous concerne personnellement.
L’annonce d’un diabète peut provoquer également chez la personne qui le déclare, une rupture dans ce que Winnicott appelle le sentiment de continuité d’existence. Notre corps nous donne le sentiment d’exister, il fonde notre identité. Le corps « sain » est silencieux : quand tout va bien, il y a une évidence, une familiarité des ressentis corporels. L’irruption d’une maladie comme le diabète est alors un moment où le corps cesse d’être familier, où il nous devient étranger. Ce qui était familier se transforme en inquiétant, troublant. Cela peut susciter l’angoisse, car on peut passer par un véritable moment de dépersonnalisation : « je ne me reconnais plus comme celui ou celle que j’étais ».
L’annonce de la maladie peut ainsi provoquer chez l’enfant une peur voire une angoisse de ne plus se reconnaître dans les yeux de l’autre, les parents en l’occurrence. « Je ne suis plus comme je l’étais avant dans les yeux de mes parents, m’aimeront-ils encore ? ». Il est alors important de prendre en compte ces angoisses voire de les prendre en charge.
On entend souvent l’expression « il y a un avant et un après l’annonce ». À la sortie de l’hôpital, toute la famille est confrontée à la réalité de la quotidienneté d’une maladie chronique. On réalise alors qu’on ne retrouvera jamais le milieu scolaire, familial ou amical tel qu’il était avant la déclaration de la maladie. Des situations jusque-là familières comme aller à l’école, participer à une fête familiale, sortir avec des amis peuvent paraître alors tout à coup étrangement inquiétantes et difficiles. Réciproquement, ce sentiment d’étrangeté peut également se manifester chez les parents et l’entourage. Après l’annonce du diagnostic, les parents peuvent ne plus voir leur enfant de la même manière qu’avant, il aura à leurs yeux une certaine fragilité, une étrangeté aussi dans un premier temps.
Le diabète peut ainsi éveiller des sentiments d’inquiétante étrangeté, au sens où ils inaugurent une confrontation avec un autre soi-même, un double ou un intrus qui peut d’abord provoquer la panique. Au moment de l’annonce, il y a, dans un premier temps, une sidération puis, dans un deuxième temps, s’opère un clivage, la question du double, de l’autre en soi. Le diabète est un étranger avec lequel il faudra vivre. On peut alors le vivre comme une rupture, une séparation au sein de soi-même. Le diabète peut alors être vécu comme un intrus menaçant et étranger. L’intrus, c’est celui qui s’introduit de force dans un lieu sans y être invité et sans en avoir le droit. Le diabète, en agissant de même, peut ainsi être vécu comme un intrus, mais un intrus qui vient de l’intérieur.
La question du double peut également se poser en tant qu’expropriation. Expropriation par la médecine puisque ce corps autre, devenu étrange et étranger est remis entre les mains des médecins. L’intrusion de la maladie produit en effet une extériorisation constante du corps qui se trouve mesuré, contrôlé et modifié dans ses processus biologiques.
Le corps exproprié est une notion de Roland Gori (psychanalyste, professeur de psychopathologie clinique, université d’Aix et Marseille), pour désigner cette relation d’étrangeté que l’on peut éprouver par rapport à son corps malade. Exproprier signifie légalement déposséder quelqu’un de la propriété d’un bien. On peut ainsi facilement imaginer les ravages que peut provoquer un sentiment d’expropriation quand il s’agit de notre propre corps. S’il est évidemment important de prendre en charge les angoisses que peuvent susciter ce sentiment d’inquiétante étrangeté, notamment quand ce sentiment devient très envahissant, il peut également produire des effets positifs.
Le surgissement d’un sentiment d’inquiétante étrangeté à l’égard de son propre corps peut, en effet, annoncer et inaugurer un travail d’appropriation (après l’expropriation) et de familiarisation de cet autre soi-même. Reconnaitre l’autre en soi permet tout d’abord de découvrir et d’éprouver que cette notion d’altérité en soi n’est pas spécifique à la maladie. « Je est un autre », écrivait Rimbaud (Lettre du voyant, 15 mai 1871). Nous sommes, en effet, souvent déconnectés de notre propre corps et la confrontation à son dysfonctionnement peut permettre de découvrir un autre soi-même nouveau et inconnu qui annonce alors l’avènement d’une unité voire d’une réconciliation. Réconciliation avec ce corps dont on s’est senti trahi.
Ainsi, le sentiment d’inquiétante étrangeté qui nous envahit à l’annonce du diabète et qui peut provoquer angoisses, désorientation, dépersonnalisation et autres sentiments d’effroi et de malaise, doit être considéré comme un mécanisme d’adaptation et de survie psychique car il permet de rendre familier ce qui est à l’intérieur de nous et permet alors de se réapproprier son corps. Le sentiment d’inquiétante étrangeté inaugure ainsi le passage, le mouvement, le chemin vers la restauration de son identité nouvelle avec un diabète.
Ce chemin n’est pas un long fleuve tranquille et le sentiment d’inquiétante étrangeté n’apparaît pas uniquement au moment de l’annonce du diagnostic mais peut surgir ou resurgir tout au long de sa vie avec le diabète.
Notre propre corps peut en effet nous apparaître étrange et étranger à l’occasion des premières hypos et hyperglycémies mais aussi au moment de l’adolescence où les questions de l’étrangeté en soi et de l’identité se posent. C’est ce qui permet d’expliquer, entre autres, les difficultés de prise en charge du diabète au moment de l’adolescence. À l’adolescence, il peut en effet y avoir un moment de rupture, de rejet ou de malaise profond par rapport à un diabète qui paraissait jusque-là avoir trouvé une place familière et plus ou moins équilibrée dans la vie de l’enfant. Le surgissement d’un sentiment d’inquiétante étrangeté inhérent aux bouleversements physiques et psychiques de l’adolescence peut ainsi provoquer une remise en question de son rapport intime au diabète. Il faudra alors que s’opère le travail de remaniement psychique et corporel de l’adolescence pour qu’une nouvelle adaptation au diabète avec un corps qu’il faut se rapproprier.
L’inquiétante étrangeté que suscite cet intrus qu’est le diabète oblige à mobiliser sa capacité créatrice et d’invention pour en faire un intrus familier avec lequel il faudra apprendre à vivre.
Lorsque le sentiment d’inquiétante étrangeté est surmonté, il peut alors faire place à un véritable sentiment de jubilation et comme le dit Freud « on se fait à soi-même l’effet d’un héros ayant accompli d’incroyables prouesses » (Lettre à Romain Rolland, 1936). Une illustration de cette jubilation peut être celle de l’enfant qui se reconnaît pour la première fois dans le miroir et qui correspond au dépassement du sentiment d’inquiétante étrangeté que suscitait jusque-là la confrontation à son reflet.
Nous pouvons en dire de même pour le diabète et le sentiment de force et de liberté que l’on peut ressentir quand on a réussi à apprivoiser, adopté et appris à connaître cet intrus avec lequel il faut désormais cohabiter.
Le mensonge : une voie d'adaptation au diabète ?
Par Nadine Hoffmeister
« Mon enfant ment » : nombreux sont les parents qui viennent consulter pour ce motif.
La question du mensonge posé comme le négatif de l’idéal de vérité ou de transparence provoque ou inquiète les parents. Le mensonge occupe une place ambiguë dans notre culture, réprobation morale sans concession pour les uns, valorisation pour d’autres, car « toute vérité n’est pas bonne à dire », le mensonge étant alors considéré comme utile et protecteur. Pourquoi mentons-nous ? Pour nous protéger. Pour éviter une punition. Pour ne pas blesser. Pour donner une bonne image de nous-même. Pour manipuler l’autre. Pour obtenir quelque chose. Autant de mensonges que de contextes différents. Cela permet de se poser la question de la fonction du mensonge.
Pour Boris Cyrulnik, « le mensonge sert à masquer le réel pour s’en protéger. » (Boris Cyrulnik, Le Murmure des fantômes, p.125, Odile Jacob Poches, 2003). Il le différencie alors de son versant pathologique qu’est la mythomanie. Le mensonge est certes contraire à la réalité, mais il peut révéler une vérité de la personne, une vérité de l’être. Il s’agit d’entendre ce que l’enfant ou l’adolescent dit en mentant. Les fonctions du mensonge évoluent aussi avec l’âge : un enfant de 6 ans ne ment pas pour les mêmes raisons qu’un adolescent de 16 ans. Dans le cadre d’une maladie chronique comme le diabète, la question du mensonge se pose parfois (mentir sur son traitement ou son suivi) et peut mettre en difficulté les équipes médicales. Mais dans un processus d’adaptation au diabète, notamment à l’adolescence, mentir peut s’avérer utile pour gagner en liberté et en autonomie. À rebours, mentir peut aussi plonger dans la culpabilité et la dépréciation et parfois aller jusqu’à la mise en danger.
Dans le développement de l’enfant, le mensonge apparaît généralement vers 6 ou 7 ans (il s’agit d’un âge indicatif, autrefois appelé « l’âge de raison ») ; l’enfant acquiert alors une conscience morale. Avant 6 ans environ, l’enfant ne dispose en effet pas des capacités logiques permettant le mensonge conscient. Il peut déformer la réalité par confusion entre réalité et imaginaire. Jusqu’à 6 ans, un enfant qui affabule n’a pas l’intention de tromper l’autre ; il peut vouloir exprimer un désir qu’il prend pour réel.
La première fonction du mensonge est de sortir de la « pensée magique », c’est-à-dire que la réussite du premier mensonge permet à l’enfant de réaliser que l’adulte ne sait pas tout ce qu’il pense et qu’il a une existence propre. Il peut commencer à mentir pour dissimuler certaines choses afin de s’éviter des désagréments, le mensonge obéissant au principe de plaisir (manger des sucreries par exemple). Le mensonge a donc d’abord un rôle dans la construction de l’idée du Moi et permet à l’enfant de découvrir l’autonomie de sa pensée. Il s’agit d’une étape importante dans le développement de l’enfant ; le mensonge ne doit par conséquent pas être considéré systématiquement comme pathologique. Il y a des degrés dans le mensonge. Ils peuvent être petits ou grands, passagers ou persistants.
Mais si ces mensonges-là s’installent et se répètent, cela peut être en réaction à des parents trop rigides qui aimeraient vouloir tout contrôler. Dans ce contexte, le mensonge fait office d’écran pour se protéger face à des attitudes de contrôles vécues comme excessives et intrusives. Le mensonge vient ici répondre au besoin de s’opposer à la transparence. L’attitude à adopter est évidemment une question délicate face à un enfant avec un diabète, car la tentation de vouloir tout contrôler est forte et parfois rassurante pour les parents. C’est pourtant face à une certaine souplesse et confiance parentale que l’enfant pourra construire son identité et ne pas se sentir totalement transparent, et ainsi cheminer vers l’autonomie sans besoin de dissimulation ou de mensonge.
Le mensonge a également pour fonction d’attirer l’attention. Selon la célèbre formule de Winnicott, « se cacher est un plaisir, mais ne pas être trouvé est une catastrophe ». (D.W. Winnicott, Jeu et réalité, l’espace potentiel, Gallimard, 1975). C’est ainsi important de considérer que l’enfant ne ment pas pour nuire à ses parents, mais pour exprimer quelque chose. Il est donc nécessaire de réfléchir au sens du mensonge chez l’enfant. Le diabète peut ainsi parfois devenir un levier pour attirer l’attention des parents en suscitant leur inquiétude.
Au moment de l’adolescence, le mensonge occupe des fonctions différentes. L’adolescent a besoin de construire des frontières avec le monde adulte. Pour cela, l’adolescent éprouve le besoin de se cacher, de dissimuler. « Tous les animaux qui muent, changent de peau, aiment à le faire à l’abri des regards » explique justement le Docteur Courtecuisse. (Dr Victor Courtecuisse, L’adolescent malade, ce qu’il faut savoir, Armand Colin). Françoise Dolto parlait du Complexe du Homard pour décrire la période de changement de carapace entre l’enfance et l’adolescence et la vulnérabilité causée par cette mise à nu transitoire. (Françoise Dolto, Paroles pour adolescents ou le Complexe du Homard). Le mensonge permet alors de lutter contre la transparence dont l’adolescent veut sortir, notamment dans un contexte de maladie qui exige de partager quotidiennement des informations qui concernent l’intimité de son corps.
Dans le cadre d’une maladie chronique comme le diabète, ce besoin de mise à distance peut inquiéter les parents et les équipes médicales du fait du risque de complications immédiates et/ou futures. La difficulté pour l’entourage d’un adolescent ayant un diabète est toujours de savoir jusqu’où faire confiance, comment trouver la bonne distance dans l’accompagnement de la maladie. La particularité des adolescents avec un diabète est qu’ils sont aux prises avec des réalités et des exigences contradictoires voire antinomiques : celles de leur adolescence et celles de la maladie, des parents, des soignants, mais aussi des autres adolescents. Leur besoin de liberté, d’expérimentation, d’immédiateté se heurte aux exigences d’une maladie chronique dans laquelle ils doivent rendre des comptes à des adultes « qui les saoulent ».
Le mensonge offre donc tout d’abord un espace de liberté et permet d’exclure les parents, les soignants et leurs discours parfois moralisateurs, dont l’adolescent cherche à s’éloigner.
Le mensonge permet alors d’éviter d’avoir à se confronter à une image différente de celle souhaitée ou attendue. Mentir permet aussi de se protéger du sentiment d’échec déprimant, de ne pas arriver à tout faire comme il faut. L’adolescent peut se poser la question du bénéfice de dire qu’il n’a pas suivi son traitement ou qu’il n’a pas mangé ce qui était recommandé. Cela peut devenir d’autant plus vrai, face à des parents qui attendent de la part de leur enfant une observance parfaite des traitements et ont peur de tout ce qu’ils considèrent comme une prise de risques (les sorties, le sport, les voyages…). Ils voudraient garder le contrôle, considérant que la maladie justifie leur intrusion dans l’intimité de leur enfant adolescent. Ils voudraient, évidemment, sincèrement protéger leur enfant face aux risques, mais il n’existe pas d’adolescence sans prise de risques et les adolescents ayant un diabète y sont confrontés autant que les autres. Ainsi, dans un contexte chargé de contraintes, le mensonge peut être utile et nécessaire pour acquérir de la liberté.
Le mensonge résulte donc d’un besoin d’émancipation. Ne plus vouloir être transparent dans le suivi du diabète montre aussi une volonté d’autonomie et un besoin de s’approprier sa maladie. « T’inquiètes, je gère ». Le mensonge est également un compromis. Un adolescent qui ment sur la prise en charge de son traitement fait semblant de répondre à ce que l’autre attend de lui sans prendre le risque d’une rupture. Le mensonge s’inscrit dans le processus adolescent et répond au besoin d’autonomie et à la peur d’être envahi par l’autre, mais aussi à la peur d’être abandonné. « Lâche-moi ! … mais ne me laisse pas tomber. » Le mensonge marque le lien à l’autre, il l’éloigne, mais le maintient proche en même temps. Pour qu’un adolescent puisse entamer le chemin de l’autonomie avec sa maladie, il doit donc traverser ce processus de séparation/individuation propre à l’adolescence.
Pour certains, le mensonge peut être un des moyens utilisés, permettant de mettre à distance les parents dont l’adolescent est dépendant tout en les maintenant à proximité.
C’est alors un vrai défi pour les parents que de trouver une place et un rôle ni trop près ni trop loin tout en continuant à veiller sur leurs enfants adolescents à fortiori s’ils ont un diabète. Victor Courtecuisse (Dr Victor Courtecuisse, L’adolescent malade, ce qu’il faut savoir, page 104, Armand Colin) explique en effet que : « L’adolescence est par excellence le temps où il faut savoir « surveiller », c’est-à-dire veiller sur, d’en haut, sans conduite intrusive, mais en étant là au moment nécessaire ».
Vis-à-vis des pairs, le mensonge va avoir une toute autre fonction, car il est souvent utilisé sciemment pour se protéger contre la peur de la différence. Mentir sur son diabète pour se sentir « comme les autres », libre et normal. Vivre des moments où l’on oublie la maladie est évidemment essentiel, mais peut parfois conduire au risque de se mentir à soi-même et de se faire croire qu’elle n’existe pas et aboutir au déni de la réalité de la maladie.
Ainsi, le processus d’adaptation à la maladie réactualisé par les bouleversements liés à l’adolescence passera par un besoin de se cacher dans la « normalité », afin de mieux apprivoiser ensuite son individualité et de faire de ses différences une richesse, une force et de pouvoir considérer qu’ils sont différents « comme tout le monde ». Le recours au mensonge ou à la dissimulation n’est évidemment qu’un des aspects dans la stratégie d’adaptation au diabète pendant l’adolescence. Le processus adolescent, qui peut passer par des moments de crises, de mensonges ou de conduites à risques, est le même pour tous les adolescents ayant un diabète ou n’en ayant pas. Il s’agit pour eux de trouver petit à petit leur vérité, leur individualité, leur chemin.
La responsabilité des parents, tout autant que celle des équipes soignantes face aux mensonges des enfants ou adolescents ayant un diabète, sera alors de s’interroger et d’y voir l’expression d’une réalité subjective à décrypter sans jugement, mais aussi parfois d’y voir le reflet de leurs propres mensonges ou non-dit.
Être ou avoir
Par Nadine Hoffmeister
Quand le diagnostic de diabète est posé, c’est comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Il y a un avant et un après. Commence alors pour tout le monde un long travail d’adaptation. C’est un travail compliqué, car le diabète est une maladie particulière, on est malade sans l’être ou en bonne santé tout en étant malade. «Je ne suis pas malade, c’est le traitement qui me rend malade», ressent un ado.
Le diabète fait basculer dans une nouvelle vie, un nouveau rapport à son corps. Il s’agit effectivement d’intégrer le diabète au sein de son propre fonctionnement psychique et physiologique. Canguilhem (1) parle d’une « autre allure de la vie » pour illustrer ce travail d’intégration. Pour les parents, la survenue d’une maladie chronique chez l’enfant entraîne des angoisses et des inquiétudes pour l’avenir qu’il faudra apprendre à dompter et à apaiser. Il faut alors aussi se familiariser avec un nouveau vocabulaire et la question de la formulation peut alors se poser : dit-on « être diabétique » ou « avoir un diabète » ? La question peut paraître dérisoire face à la réalité de la maladie, mais elle fait souvent débat, ce qui montre qu’il ne s’agit pas seulement d’une question de mots.
« Avoir un diabète » ou « être diabétique » : quel impact les mots peuvent avoir sur la représentation de la maladie et sur le processus d’appropriation de celle-ci ?
D’une manière générale, « être » en appelle à l’identité et « avoir » se réfère à la possession de quelque chose.
« J’ai un diabète », « avoir », indique une relation d’objet. Et pourtant la maladie n’est pas l’objet que l’on voudrait avoir, mais qu’il faut réussir à intégrer (introjection de l’objet). Un objet que l’on a et avec lequel on apprend à composer, car sa possession est définitive. La notion « d’avoir » suppose celle de la distance, « il y a moi et il y a ce que j’ai ». Ce n’est pas parce qu’on « a » une maladie chronique comme le diabète que l’on « est » le malade correspondant. On conseille ainsi souvent aux parents de dire de son enfant qu’il « a un diabète » plutôt de dire qu’il « est diabétique » pour ne pas réduire son enfant au diabète. Le risque serait de rapporter toute manifestation émotionnelle un peu vive à des changements physiologiques liés au diabète, les colères d’un enfant par l’hypo par exemple. « On souhaitait qu’elle soit une enfant normale avec un diabète plutôt qu’une diabétique qui essaie de vivre une vie normale », résume une maman. La mise à distance avec l’objet est donc saine quand elle permet de préserver la personnalité et la subjectivité de chacun.
La mise à distance est saine quand elle permet de se « libérer » du diabète, mais cela passe paradoxalement par une aliénation à un traitement rigoureux. C’est le paradoxe entre liberté et contrainte que provoque le diabète. Pour mettre à distance l’objet il faut s’y soumettre en quelque sorte. « Avoir » des contraintes pour « être » libre, telle est notre condition d’être humain, à tous.
« Avoir » peut aussi être défini comme « avoir quelque chose en plus ». Philippe Barrier (2) propose une illustration magistrale du processus de transformation d’une « blessure », l’atteinte par un diabète insulino-dépendant, en une « force ». La force de bien se connaître, d’acquérir de la sagesse et de vivre pleinement sa vie. « Aujourd’hui, je sais qu’on peut être heureux non pas malgré sa maladie, mais grâce à sa maladie. Grâce à ce qu’elle révèle en nous de ressources insoupçonnées, d’amour de la vie qui se dissimulait. » (3)
Le maintien dans « l’avoir » peut cependant aussi signifier, a contrario, la persistance d’une distanciation entre soi et la maladie et traduire un refus ou une impossibilité d’intégration. Si la maladie et son traitement restent un objet trop extérieur, la prise en charge peut être rendue difficile. L’éducation thérapeutique peut grandement faciliter le processus d’appropriation de la maladie et la nécessaire restructuration identitaire de la personne atteinte. Pour les parents, une trop grande distanciation de la maladie de leur enfant peut se traduire par une banalisation excessive de la maladie et avoir pour conséquence une inhibition de la verbalisation de la souffrance.
Mais, apprendre que l’on « a » une maladie chronique signifie aussi apprendre que l’on « est » définitivement malade. On peut alors penser que l’affirmation « je suis diabétique » constitue un indicateur d’intégration de la maladie comme un élément de la vie de la personne. Cela ne signifie pas pour autant que l’on se résigne face au diabète, mais que l’on apprend à faire et vivre avec.
Ainsi, chaque formulation révèle quelque chose de ce long cheminement d’adaptation et chacun se reconnaît sans doute dans l’une ou l’autre formule et cela peut changer tout au long de sa vie et au gré des expériences. Peut-être serait-il intéressant de poser la question à la personne atteinte de diabète de savoir comment elle préfère être qualifiée pour ne pas risquer de l’enfermer dans l’une ou l’autre dénomination ?
Alexandre Jollien (4) propose un témoignage poignant et une réflexion philosophique à propos de cette question des mots : « Pour d’autres, un diagnostic trop prompt constitue la perte de la liberté. Le mot représente une chaîne à laquelle est liée l’existence, la prison dans laquelle on enferme un individu. Le terme devient plus lourd que la réalité qu’il prétend désigner. Quand mon voisin disparaît sous l’étiquette de dépressif, quand autrui n’apparaît plus que comme le diabétique, le veuf, le noir, la réduction à l’œuvre dans maints regards pèse, meurtrit la personnalité et ouvre des plaies secrètes. […] Or, la fixité même du jugement réduit la richesse du réel, de l’être humain devant lequel on devrait au moins s’étonner, à défaut d’oser s’émerveiller. »
- Canguilhem G. (1966), Le normal et le pathologique, Paris, PUF
- Barrier P. (2010), La blessure et la force. La maladie et la relation de soin à l’épreuve de l’auto-normativité, Paris, PUF
- Barrier P. (mai 2004), Vivre, Revue Hygiène et médecine, n° 2484
- Jollien A. (2002), Le métier d’homme, Paris, Seuil
Les enjeux du passage du service de pédiatrie vers le service adulte
Par Valérie Brasselet
Les atouts d’un service de pédiatrie
Les services de pédiatrie symbolisent pour les jeunes atteints de maladie chronique un espace sécurisant, de réassurance, de connaissance des équipes et des soins effectués. Les jeunes y ont leurs repères. Tout est fait pour que le jeune se sente bien et trouve sa place chaque fois qu’il y revient. Le personnel est attentionné, à l’écoute, les soignants plaisantent et rassurent les jeunes quand c’est nécessaire. Le jeune, même plus âgé peut régresser librement. Il y est autorisé. Il se laisse « coocooné » par l’équipe. Il entend les conseils, il se laisse guider. Tout est planifié, organisé. Les parents vivent également ces moments en pédiatrie, en hospitalisation de jour ou hospitalisation de semaine comme un soutien bénéfique. Ils confient leur enfant et délèguent à l’équipe la responsabilité de la prise en charge. Ils attendent conseils et réassurance. Les modalités de soins et d’accueil en service pédiatrique atténuent la solitude parfois ressentie par les familles.
Le passage en service adulte
On peut définir le concept de « passage » comme un moment de transition et le fait de quitter un état ou un lieu pour aller vers un autre état, un autre lieu. Cela induit des changements, des modifications et en découlent automatiquement des fantasmes et des inquiétudes de l’inconnu. Le jeune se demande : « mais, que se passe-t-il ? On me demande de partir, de me séparer, de lâcher mes repères, mes soignants de cœur que j’investis depuis si longtemps. On me coocoonait, on prenait soin de moi et maintenant, il faut partir, oui, mais pourquoi ? » Et l’équipe répond et explique : « mais parce que tu as 18 ans ». Et le jeune se demande : « mais quel est ce décalage que je ressens si intensément entre l’âge légal qui me rend grand devant la loi et ce désir de rester petit pour qu’on continue à s’occuper de moi ?». Avoir 18 ans signifie entre autres, passer du service enfants/adolescents au service adulte. La crainte du jeune est de perdre le lien, de perdre la réassurance si nécessaire à sa prise en charge. Être poussé dans ses responsabilités et vers l’autonomie : prendre ses rendez- vous, ne pas les rater, se prendre en charge seul, aller vers l’autonomie. Dans les services adultes, l’accompagnement est différent : on observe moins de proximité des équipes, une absence de « maternage ». Les jeunes rencontrent des patients plus âgés, ayant d’autres maladies chroniques, dont le diabète de type 2, et parfois avec des complications.
Le jeune doit se réapproprier un nouveau lien à un nouveau médecin qui ne le connaît pas. Tout est à reconstruire et tout est à faire.
Dans ces moments de changements de repères et de paradigmes, soit le jeune parvient à s’investir du fait de sa personnalité et bien souvent, du fait de sa maturité, soit ça lui est très difficile, ce qui nécessite de l’accompagner doublement vers ce passage. Le risque étant, bien entendu, qu’il cesse de prendre ses rendez-vous et de s’y présenter. Les services de pédiatrie, les services adultes de diabétologie, les équipes médicales sont conscientes de ces enjeux, de ces difficultés pour les jeunes et leur famille. Comment ne pas perdre nos jeunes, comment les aider à poursuivre dans un autre service, un service adulte avec d’autres équipes, comment assurer la continuité de leurs soins ? Chacun travaille à penser des outils, à les améliorer, à construire une réflexion en vue d’un accompagnement optimal. Nous savons aujourd’hui que les relations et plus encore, les « bonnes » relations entre pédiatres diabétologues et diabétologues adultes facilitent grandement la réassurance du jeune. Quand il sait que son pédiatre diabétologue fait confiance à son diabétologue adulte, le jeune parvient beaucoup plus facilement à « passer » avec succès en service adulte. Cette nécessité du lien et de la confiance est primordiale.
Comment, vous parents, pourriez aider votre jeune à ce passage ?
On peut se dire que passer d’un service à un autre, c’est pour le jeune, comme continuer de grandir. Encore faut-il que le jeune soit en mesure d’accepter cela. C’est pour le parent, accepter de voir que son jeune continue de grandir. C’est indispensable, les parents le savent, mais pour autant, ça n’est pas toujours aussi simple qu’on pourrait le penser. Le passage du lycée vers la faculté ou l’école supérieure induit aussi ces moments de passages ou de transition, de changements souvent peu évidents pour les uns et les autres, même si bien entendu, du fait d’examens réussis, cela procure aussi de la joie. Devenir grand, implique la transition, le passage, le changement et la séparation. Accepter que l’enfant grandisse n’est de ce fait pas toujours évident pour le parent. Même chose pour le jeune : il est à la fois en demande d’autonomie, de liberté et dans le même temps, ce processus de passage vers l’âge adulte lui fait peur. Alors, comment faire ? Quelle solution vous donner pour vous aider à réussir ce passage conjoint et ces séparations induites à la fois par ce transfert d’un service de pédiatrie à un service adulte, ce passage du lycée vers les études supérieures, cette évolution de l’adolescent à l’adulte et le départ du jeune de la maison ? Pour vous, parents d’un jeune ayant un diabète, tous ces passages, ces changements sont peut-être encore un peu plus compliqués que pour d’autres parents, tout simplement parce que la maladie vous a imposé des règles contraignantes de suivi de votre jeune, des inquiétudes, qui, parfois vous ont placé en rôle d’hyper maman ou d’hyper papa. Pour vous, le lâcher-prise vis-à-vis de votre jeune est plus difficile et le voir grandir est probablement plus compliqué du fait de ces contraintes.
Conseils aux parents :
Tout d’abord, vos conseils à vous, parents. Ceux que vous donnez à vos jeunes sont fondamentaux même si, bien souvent, avec leurs réactions paradoxales, vos jeunes vous laissent penser le contraire. Vos conseils rassurent votre jeune qui sait qu’il peut compter sur vous, mais il faut le laisser agir seul.
- Votre jeune se connaît, il connaît son diabète. Quand vous n’êtes pas avec votre jeune, quand il est chez ses grands-parents ou chez des amis, vous savez qu’il gère son diabète sans vous. Il y arrive.
- Il faut donc lui faire confiance et de plus en plus, pour le diabète et les autres évènements de la vie. Laissez le faire, prendre des choses en main : ses démarches administratives, ses inscriptions dans les écoles, ses rendez-vous médicaux… Il doit apprendre à s’occuper de lui.
- En le laissant agir, vous le rassurez sur ses capacités. Il prend ainsi conscience de ce qu’il sait faire seul.
La transition pour tout passage de vie doit toujours se faire en douceur :
- Vous pouvez l’accompagner pour le premier rendez- vous en service adulte. Votre présence, même en salle d’attente, diminue les craintes de votre jeune et le sentiment de solitude perçu.
- Demandez à votre jeune de s’assurer auprès du pédiatre ou de l’infirmière, de relations bien établies entre le service de pédiatrie et le service adulte.
- Demandez à votre jeune qu’il sollicite son service de pédiatrie pour revoir en rendez-vous son pédiatre ou infirmière pédiatrique après la première consultation en service adulte. Ça peut le rassurer pleinement, lui permettre d’exprimer à son interlocuteur pédiatrique ce qui est facile et difficile. Ça peut permettre de réaménager des choses si besoin.
Pour vous, parents, il faut bien comprendre que ces passages, ces transitions et étapes de vie ne sont que des changements pour aller vers une autre organisation, une adaptation aux âges. C’est donc l’acceptation de ces évolutions qu’il faut pouvoir faire progressivement : accepter que vous vieillissez en même temps que vos jeunes grandissent. L’un ne va pas sans l’autre. Malgré ces évolutions des âges et ces adaptations nécessaires, il n’y a aucune raison qu’il y ait de rupture de vos liens affectifs et de cassure dans les relations que vous avez su créer avec vos jeunes. Quand il y a de l’amour et de l’affection, tout perdure toujours.
Devenir malade : la survenue du diabète chez l'enfant
Par Valérie Brasselet
La maladie qui survient est un moment de rupture, une rupture qui s’impose à l’enfant, un moment de perte avec lequel il faudra que l’enfant compose.
La maladie représente deux temps différents : un avant et un après. La vie quotidienne avant la maladie est plus facile pour l’enfant. Il vit de manière insouciante. Papa et maman gèrent et organisent pour lui.
La maladie bouleverse et transforme le quotidien, dans la famille et à l’école notamment. Ce moment de rupture doit pouvoir servir au développement de l’enfant. Il doit devenir une opportunité pour lui : l’opportunité de déployer tout son courage et toutes ses forces.
C’est comme la survenue soudaine d’un deuxième temps de l’enfance : l’enfant devient d’un coup un peu plus grand. Les parents et les équipes soignantes vont lui expliquer les traitements, les hypoglycémies, les hyperglycémies, le sport, les sucres dans l’alimentation etc… L’objectif est que peu à peu, il puisse adapter ses traitements à sa manière de vivre, ce qui implique une connaissance progressive et des apprentissages.
Au début, c’est dur, beaucoup d’informations arrivent. L’enfant ne peut pas tout comprendre. Il pose des questions, les réponses lui sont données et lui sont répétées à divers moments mais il ne les intègre pas toutes.
L’enfant aura aussi besoin de temps psychiques, pour faire son deuil de la santé optimale et pour tenter d’accepter progressivement que la maladie fait désormais partie de lui. Il devra en effet vivre avec elle et non contre elle ou sans elle. Il n’est pas rare et c’est même normal que ces temps psychologiques de deuil et d’« acceptation » se déroulent sur plusieurs années.
Dans les premiers temps de la maladie, l’enfant va souvent interroger son parent : « pourquoi moi, c’est pas juste ; je ne veux plus être diabétique, est-ce que je serai diabétique quand je serai grand ? etc… ».
Au fur et à mesure de son développement, l’enfant pourra alterner entre des moments où il acceptera de faire ses traitements (contrôles glycémiques notamment) et des moments où il refusera, venant ainsi se positionner contre les demandes parentales et contre les contraintes liées à la maladie. Une manière d’exprimer aussi pour certains que « non ! » ils ne sont pas malades. L’enfant peut et pourra aussi parfois exprimer des sentiments de honte et sa peur d’être perçu comme différent. Il peut ou pourra avoir tendance à se cacher, à ne pas montrer qu’il fait un test glycémique à ses camarades et/ou dans les lieux publics. Le fait de refuser doit être entendu. L’enfant a le droit d’exprimer sa colère, sa tristesse et ses difficultés d’acceptation.
Conseils aux parents :
Ce que vit votre enfant n’est pas simple mais il est valeureux. Il faut accentuer sur son courage, sur ses compétences et le valoriser sur ce qu’il sait faire.
Il s’agit de l’aider à se prendre en charge en lui expliquant pourquoi par exemple on fait un contrôle glycémique avant de faire du sport, pourquoi on fait une injection avant de manger etc… Il faut lui dire que « oui, c’est casse-pied, oui, c’est contraignant » mais aussi en parallèle et en s’adressant à l’enfant : « oui, tu es super dans ta prise en charge ». « Tu te débrouilles comme un(e) chef ». L’objectif est de le rendre acteur de son processus de soin et qu’il soit fier de ses actes et fier de lui. Il faudra que progressivement, il puisse devenir autonome.
Dans le cas où votre enfant refuse de faire ses traitements, il s’agit de ne pas se braquer en lui imposant de faire. Il faut écouter sa tristesse ou sa colère, lui exprimer qu’on le comprend, le reconnaître dans ses difficultés, être attentif à ses verbalisations. L’objectif est de créer un lien partenaire avec son enfant dans lequel il se sente entendu. Cela doit permettre qu’il fasse ses traitements et d’éviter que ne s’enkystent des difficultés qui, relevées à temps, ne seront vraisemblablement que passagères.
Dans le cas où votre enfant exprime qu’il a honte, qu’il se sent différent des autres, il s’agit de lui dire que cette différence perçue est une force. La force de disposer d’un savoir-faire, la force de bénéficier d’une meilleure connaissance de son corps, la force d’avoir une expertise « comme les médecins », la force de maîtriser la signification des chiffres glycémiques, la force de connaître l’utilisation d’une pompe, la force d’avoir le courage de se piquer, la force de supporter de faire régulièrement des dextros pour se réguler. L’objectif est de lui permettre de comprendre que ses différences s’inscrivent dans des capacités et des compétences en plus.
Il est important de lui souligner qu’il est un enfant normal qui partage les mêmes envies, les mêmes intérêts et les mêmes émotions que ses pairs bien portants. Il doit se comporter comme les autres : faire du sport, aller chez les amis, faire des sorties, partir en séjours en France et à l’étranger… se faire plaisir et VIVRE !
L'enfant qui a un diabète dans une fratrie
Par Valérie Brasselet
La naissance d’un enfant est un événement magnifique (quand tout va bien), une réjouissance pour le couple parental. Mais pour les autres enfants de la fratrie, c’est aussi un bouleversement, car leur place vont être automatiquement remaniées.
La question se pose pour chacun d’entre eux : quelle est ma place maintenant ? Cet enfant qui arrive, que va-t-il me retirer, me prendre, vais-je perdre l’amour de mes parents, leur attention ?
Les différences d’âges ont un impact dans la fratrie.
Si l’écart d’âge est minime, les relations entre frères et sœurs peuvent alterner entre deux tendances.
Parfois, l’aîné(e) ou le jumeau jouera le rôle d’allié(e) face aux parents (plus fréquent pour la gémellité) et d’autres fois, les disputes seront fortement présentes du fait d’un désaccord entre les enfants.
Si la différence d’âge est plus importante, la grande sœur où le grand frère peut jouer le rôle d’un parent en donnant des conseils, en servant de confident, ou bien, ce qui n’est jamais de bon augure, en cherchant à remplacer totalement le parent sur un mode autoritaire et intrusif.
Quand un enfant devient diabétique, quelque soit sa place dans la fratrie (aîné, au milieu de la fratrie ou cadet), du fait de sa maladie, il prend toute la place aux yeux de la famille et des parents notamment, en tous cas, dans les premiers temps.
Le diabète influe considérablement sur l’état psychologique des parents. L’angoisse reste la première réaction parentale.
La fratrie alternera entre diverses émotions :
- L’inquiétude : est-ce que la maladie de mon frère, de ma sœur est grave ?
- La jalousie du fait de la place qu’il occupe désormais et le sentiment de ne plus exister pour les autres. Chacun s’occupe du frère ou de la sœur malade. Les parents s’inquiètent, les grands-parents interrogent, les tantes, les oncles, les cousins, les cousines s’informent etc. Cette jalousie peut s’exprimer par de l’agressivité ou de la colère.
- La culpabilité de ressentir ces sentiments de jalousie, la culpabilité de ne pas être l’enfant malade et dans le même temps la culpabilité de ressentir la satisfaction de ne pas être celui sur qui, la maladie est « tombée ».
- La peur de devenir malade à son tour.
Chaque enfant de la fratrie quelque soit sa place et son âge, va essayer de se positionner du fait de ce bouleversement pour pouvoir retrouver la place perdue.
Frères et sœurs vont donc s’organiser pour récupérer davantage d’attention parentale, plus encore que celle provoquée par la nécessaire prise en charge du diabète, en mettant en place des comportements « inadaptés » de type : mensonges, bêtises à l’école, désinvestissement scolaire avec chute des résultats, plaintes somatiques (maux de tête, maux de gorge, mal de ventre etc.)
Cela est particulièrement visible chez les fratries où la différence d’âge avec l’enfant diabétique est peu importante.
On observe également, et notamment chez les aînés, des réactions vives à l’égard de l’enfant diabétique. Ces réactions sont d’autant plus importantes que les émotions négatives énumérées précédemment à son encontre sont violentes : la jalousie avec l’expression de la colère et de l’agressivité.
La fratrie tiraillée par ces émotions négatives peut se sentir très coupable. Elle est en parallèle souvent inquiète pour son frère ou sa sœur diabétique.
En conséquence, elle peut mettre en place des comportements de réparation et de soignant vis à vis de l’enfant diabétique sur un mode bien souvent autoritaire.
Cela pose la question des rôles et des limites à l’intérieur de la famille. A quel moment, le frère ou la sœur plus âgé(e) doit-il s’arrêter de donner ses directives et comment les parents doivent-ils se positionner pour que l’aîné(e) ne dépasse pas certaines limites qui, si elles sont dépassées, peuvent entraîner des réactions d’oppositions du jeune diabétique, néfastes pour l’appropriation de sa prise en charge.
L’ensemble de ces réactions dans la fratrie est normal. Il est cependant nécessaire d’en tenir compte pour éviter toute situation de crise. Il est également important d’essayer d’y remédier.
Conseils aux parents :
Lorsque les frères et sœurs cherchent à provoquer votre attention par des comportements « inadaptés », il s’agit de leur montrer que ça ne vous laisse pas indifférent bien au contraire. Il faut leur dire que vous voyez leurs changements, eux qui écoutaient, qui étaient agréables, qui avaient des observations et des résultats satisfaisants à l’école etc. Il faut ouvrir la discussion de manière à ce qu’ils prennent conscience de ce qu’ils jouent en ce moment. Plus il y aura des échanges avec votre enfant, plus il pourra comprendre ce qu’il fait, plus il pourra se remettre en cause et agir sur ses comportements.
Il faut chercher à créer le lien, leur dire que ça n’est pas facile pour celui qui est diabétique mais que « oui, ça n’est pas non plus facile » pour eux et ça vous le savez et vous le reconnaissez. Il faut aussi leur dire que « oui, c’est vrai qu’il est casse-pied » leur frère ou sœur diabétique, quand il dit « je suis en hypo » et qu’il ne l’est pas, quand il fait du cinéma pour qu’on s’occupe encore un peu plus de lui et « oui, c’est pas normal, et oui, on va le lui redire qu’il est diabétique mais que quand même, il n’est pas tout seul à vivre dans la famille. »
Il s’agit de mettre aussi des limites à l’enfant diabétique qui peut parfois avoir tendance par ses comportements exagérés, à tyranniser l’ensemble de la famille.
Lorsque les frères et sœurs adoptent des comportements de réparation et de soignant, il s’agit de les rassurer et de dédramatiser la maladie.
Il faut les remercier s’ils ont pu vous aider pour une hypoglycémie ou autre, mais bien leur indiquer que faire la prise en charge et le soin, c’est votre rôle à vous et ça deviendra progressivement la responsabilité personnelle du jeune ayant un diabète.
L’enfant, même aîné de la fratrie, ne doit jamais avoir la responsabilité de son cadet diabétique sur une longue période. Sinon, le risque est de les mettre en situation de rivalité entre celui qui détient l’autorité et le savoir, et l’autre qui subit les directives.
De plus, un aîné peut devenir extrêmement agressif et violent, non pas par plaisir à l’égard de celui qui est diabétique, mais par peur de ne pas maîtriser des situations de crises relatives à la maladie. Laisser l’aîné devenir responsable de son frère ou de sa sœur diabétique ne peut que renforcer son anxiété et son agressivité à l’égard de ce dernier : « je suis en permanence anxieux qu’il t’arrive quelque chose et quand tu es en hypo, je me sens coupable de ne pas savoir t’aider, alors, je crie pour que tu prennes le sucre que tu refuses de manger. »
Vous, les parents, malgré les difficultés et les contraintes, vous êtes les meilleurs à pouvoir répondre aux besoins de vos enfants et à pouvoir redistribuer les rôles à chacun. Vous saurez donner l’attention et restaurer l’équilibre affectif nécessaire à la stabilité de votre famille.
Le processus d'adaptation des parents à la maladie
Par Valérie Brasselet
Le désir d’avoir un enfant s’inscrit pour chacun dans des processus psychiques qui ne sont pas neutres et qui sont multiples. Ce désir d’enfant est ainsi dépendant de la transmission intergénérationnelle de chaque famille, de l’histoire personnelle de chacun, de notre expérience d’enfant, de notre projet de devenir parent, de nos attentes et des valeurs sociales ambiantes, de la culture dans laquelle on vit…
Pour son enfant, chaque parent imagine le meilleur. Les espoirs sont nombreux en termes de qualités : honnête, gentil, généreux, etc, et d’avenir heureux.
La vie est faite pour chacun d’alternances entre des moments magiques qui sont positifs à vivre, des difficultés qui rendent malheureux et des périodes plus calmes. Ces divers moments créent les émotions, les ressentis et la force du vécu. De tous ces bas, chacun pourrait se passer et pourtant, ce sont ces bas qui souvent donnent la capacité d’avancer et de se battre.
La survenue du diabète chez l’enfant ou l’adolescent crée une rupture dans les représentations et les attentes parentales. Cet enfant prévu comme facile à vivre, sans trop d’angoisse, provoque d’un coup le contraire et les peurs avec. Beaucoup de choses sont à repenser sur le plan individuel et familial.
Le diabète crée en effet des inquiétudes au présent. Il faut gérer le quotidien à la maison, gérer l’école, les activités sportives, les relations avec les pairs, les relations dans la fratrie et avec la famille élargie.
Le diabète fait naître des inquiétudes quant au devenir de l’enfant et de son avenir. Que va-t-il pouvoir faire comme métier, sera-t-il en mesure de se réguler, pourra-t-il faire tous les sports souhaités ?… Les parents cherchent en quoi le diabète peut constituer une entrave.
Le diabète s’inscrit dans un imaginaire de freins comme s’il vous empêchait, vous, parents de pouvoir profiter des plaisirs de la vie, mais aussi comme s’il faisait obstacle à ce que votre enfant ou votre adolescent puisse vivre et puisse se projeter.
Il va s’agir de repenser ce qu’est le diabète dans chacune de vos représentations.
Est-ce que le diabète, pour vous parents, marque un arrêt brutal et parfois total dans des processus de décisions, dans des choix de vie, dans des voyages à réaliser pour votre jeune ou en famille, dans des études à faire ou des diplômes à obtenir ?
Sur le plan médical, le diabète marque en effet un arrêt, un arrêt du fonctionnement des cellules bêta qui sécrètent l’insuline.
Donc oui, des traitements doivent être mis en place pour remédier à cette défaillance, des traitements contraignants qui amènent à penser et à repenser en permanence les doses d’insuline en fonction de la glycémie, des activités, de l’alimentation…, en vue d’une adaptation optimale.
La gestion du diabète de son enfant, ce n’est pas facile. Le diabète n’est pas une science exacte. Il peut y avoir des résultats glycémiques non prévus et étonnants, alors que pourtant, les choses ont été pensées au mieux.
L’apprentissage va se faire dans le temps.
Conseils aux parents :
L’objectif est de parvenir progressivement à relativiser et à ne pas vouloir réussir à tout faire parfaitement car ce n’est pas possible. Il faut apprendre à être tolérant. Vous faites au mieux au fur et à mesure de vos connaissances et de la connaissance de comment fonctionne le diabète de votre enfant.
Plus vous êtes tolérant vis-à-vis de vous-même au niveau de la prise en charge de votre enfant, sans vous gronder chaque fois qu’une glycémie n’est pas nickel, mieux votre enfant ira. Le plus difficile pour lui, c’est de voir papa ou maman s’angoisser à son sujet. Du coup, il peut se reprocher d’être malade, se sentir responsable d’être « mauvais élève » de son diabète. Il peut finir par se braquer et tout refuser et bien évidemment, aucun parent ne souhaite cela bien au contraire.
Ce facteur de tolérance est primordial, car à partir de là, il y aura moins d’exigence « du tout parfait tout le temps » et donc moins d’anxiété, car ce qui angoisse terriblement c’est d’avoir le sentiment de ne pas savoir ou de ne pas tout réussir. C’est une adaptation au jour le jour avec des repères sur les jours d’avant et des comparaisons. S’il a fait cela tel jour, peut-être que je peux faire comme ça le lendemain. Si je lui donne tant de sucre par rapport au temps de sport effectué, est-ce que je constate que c’était suffisant ou est-ce qu’il a eu besoin de plus de sucre ? Et si c’est le cas, je prévois plus pour la fois suivante.
Il va falloir réapprendre à vivre, à vous faire plaisir, à lâcher-prise. Le diabète ne doit pas marquer un arrêt des plaisirs et des investissements à jamais. Bien au contraire, il s’agit de se réinscrire dans des processus de vie : reprendre une activité professionnelle, voir des amis, refaire du sport, etc… ce qui permettra aussi à votre jeune de ne pas réduire sa vie à sa maladie. S’il vous voit aller mieux, il saura que le diabète, on peut vivre avec. Tenir compte du diabète est plus qu’indispensable, mais ne vivre qu’autour du diabète est destructeur et ne peut aboutir qu’à des moments de tristesse intenses voire de dépression.
Vous pouvez commencer à initier un petit programme de mise en route progressif suivant vos intérêts et vos sources de plaisirs : prévoir des petits évènements avec vos amis ou reprendre tranquillement le, aller au cinéma…
Il est certain qu’il faut démarrer vos activités les unes après les autres. Il ne sert à rien de tout précipiter, bien au contraire, pour que vous soyez serein, il faut vraiment agir à votre rythme. Le mieux est de suivre vos intérêts un à un, les uns après les autres. Cela vous permettra de les vivre sans stress, sans culpabilité et avec plaisir.
La rencontre entre jeunes et soignants
Par Valérie Brasselet
La rencontre entre un enfant ou un adolescent qui a un diabète et le soignant qui va l’accompagner pendant tout son apprentissage est un moment très important voir fondateur. Comment faire pour que cette rencontre se déroule le mieux possible ?
La survenue du diabète donne naissance dans chaque famille à une nouvelle histoire de vie, qui commence le plus souvent à la maison, dans le cadre familial.
En tout premier apparaissent les symptômes qui alertent la famille et l’entourage (énurésie, soif intense, fatigue, perte de poids…).
Les seconds témoins sont généralement le pédiatre ou le médecin généraliste puis les urgences quand le jeune est au plus mal.
L’annonce du diagnostic nécessite toujours une hospitalisation pour le jeune, l’objectif étant de mettre en place les traitements adaptés à son diabète et de leur expliquer, à lui et à sa famille, ce qu’est le diabète, l’utilité de la surveillance (mesure de la glycémie) et son utilisation, le fonctionnement des insulines, l’adaptation des doses au quotidien et la place de l’alimentation.
Cette annonce du diabète est un moment de rupture. C’est un choc : un avant, un après, tout change, les repères sont bouleversés. Après le choc et l’effet de sidération, le jeune peut vivre des moments d’effondrement, des pertes de confiance et d’estime de lui-même. Il faut éviter que ces phénomènes négatifs ne s’installent. En prévision de ces risques d’effondrement et de destructivité à plus ou moins long terme, il va falloir très rapidement favoriser les chances de la créativité.
L’hospitalisation démarre par une rencontre. Ce moment est fondateur.
Le Professeur Philippe Jeammet, psychiatre, psychanalyste, dit que : « la qualité des rencontres est primordiale pour mettre en œuvre des forces créatrices ».
Ce moment est d’autant plus important qu’il se situe au moment de l’annonce, période à laquelle les familles sont très fragilisées, les émotions de tristesse, de culpabilité sont intenses et l’anxiété est majeure.
Cette rencontre va se faire au sein d’une équipe soignante, mais elle doit pouvoir se révéler et se co-construire entre deux personnes qui seront le jeune et un soignant référent désigné par l’équipe hospitalière. L’espoir est que ce soit une « belle » rencontre, une rencontre qui fonctionne.
C’est le plus souvent un pédiatre diabétologue et ça peut aussi être une infirmière. De là, à partir de ce lien, va pouvoir naître l’approche créatrice. Il va falloir créer une relation de confiance, une réassurance du soignant vers le jeune de manière à ce qu’il puisse trouver sa place et s’autoriser à poser ses questions.
Au début, le jeune se laisse « porter » par ses parents, il les laisse parler, puis en grandissant, il se différencie progressivement d’eux et il cherche à exprimer ses besoins.
Si la rencontre a pu se faire, si le lien a pu se créer avec le référent, le jeune va savoir qu’on va apprécier et valoriser ses efforts et ses réussites pour prendre soin de lui de façon appropriée. Il saura s’il peut aussi s’autoriser à dire ses difficultés et ses moments de ras-le-bol en lien avec la maladie. Le but est de le valoriser, de l’admirer, de l’éclairer. Il s’agit de l’écouter, de ne pas le juger, de l’aider à trouver ses solutions pour qu’il soit partenaire du soignant et qu’il collabore pour une prise en charge optimale : « Avec tes glycémies actuelles, que penses-tu que tu pourrais faire ? ». Il s’agit de créer une situation d’échanges avec le jeune. Le soignant pourra ainsi l’aider, de manière satisfaisante à se prendre en charge, et à renforcer positivement l’image de lui-même.
Plus le jeune se sent valeureux et compétent dans cette rencontre, mieux, il va chercher à se prendre en charge.
Philippe Jeammet dit : « en tant qu’être humain, on est bien, quand dans la rencontre qui est une création à deux, on a pu être porteur de quelque chose de nourrissant et que cela puisse continuer en l’autre ». Il faut que ce lien soit de bonne qualité pour qu’il soit intériorisé. Intérioriser un bon lien donne confiance en soi.
Si la rencontre n’a « pas pu se faire » entre le jeune et le soignant (en d’autres termes, si le courant ne passe pas…pour diverses raisons) et que le jeune ne parvient pas à être dans une relation de confiance avec son référent, il peut être intéressant qu’il soit aidé à dire ce qui lui pose problème. Parfois, une discussion permet de vaincre les quiproquos et de mieux se comprendre.
Sinon, il peut changer de référent. Chacun est différent : le jeune n’est pas obligé de s’entendre avec tout le monde.
Conseils aux parents :
Il peut être tentant pour les parents (selon l’âge auquel est survenu le diabète), de réaliser eux-mêmes les soins afin dans un même temps, de soulager l’enfant de ce tracas et de s’assurer que les soins soient faits de façon appropriée. Cependant, afin que l’enfant puisse s’épanouir malgré ou à travers la présence de ce diabète et ne soit pas un simple « objet » de soins, il doit petit à petit prendre sa place « d’acteur » à part entière dans cette relation thérapeutique entre « équipe familiale » et équipe soignante. Il s’agit, ensemble, de l’accompagner dans cette autre façon pour lui de « devenir un grand ».
Dès le plus jeune âge, l’enfant a toute sa place dans la relation de soin, la famille peut le préparer à cette rencontre et l’encourager à s‘exprimer directement avec le soignant et poser ses questions.
C’est aussi au soignant, à tout âge, de veiller à écouter et encourager l’enfant, si jeune soit t’il, à entrer dans une relation personnelle avec le soignant, à côté des parents et en complément de leur propre échange avec celui-ci.
Parents et soignants ensemble, peuvent aider l’enfant à repérer ses progrès personnels même si ça n’est que « se laisser faire » et le féliciter au fur et à mesure de son implication, dans les soins ou de sa compréhension des attitudes à adopter.
A partir de 6-7 ans, (en niveau primaire) l’enfant pourra progresser dans l’appropriation des gestes techniques sous la surveillance des parents. Là encore, la consultation sera l’occasion de faire le point entre enfant, parents et soignants sur ses progrès et l’encourager en soulignant de façon positive qu’il accède ainsi peu à peu à ce statut « de grand ». C’est peu à peu que l’enfant deviendra l’interlocuteur prioritaire du soignant, qui échangera avec les parents dans un second temps sur les aspects plus « pratiques » des soins du diabète.
A l’âge du collège, c’est peu à peu la responsabilité elle même des soins et non plus seulement leur réalisation technique que l’enfant devra prendre en charge. En réalité, les soignants s’adressent toujours à une « équipe familiale de soins » et c’est important que parents et enfants soient présents à ce moment là. On peut alors en reparler ensemble à la maison pour mieux intégrer les différentes données abordées. Cependant, dans la mesure ou il s’agit à la fois d’échanger sur la façon de « prendre soin de soi/de l’enfant » et de ce qui est de l’ordre du ressenti, il importe de savoir, et si besoin, ménager un temps individuel à chaque membre de cette équipe familiale.
La fin du collège et plus encore l’âge du lycée, est celui où il est important d’accompagner l’émancipation du jeune et de lui faire confiance en favorisant, sur ce plan du suivi du diabète, des consultations seul à seul avec le soignant. Il est important de l’envisager, quel que soit l’âge auquel le diabète a débuté, selon votre fonctionnement familial et votre connaissance des besoins de votre ado. La présence des parents à une partie de la consultation ou pour un simple débriefing avec le médecin permet à l’adolescent de vérifier que ses parents continuent à s’inquiéter pour lui. C’est important !
Car si l’on entend parfois un : « lâchez moi ! » (un peu rugueux …), il y a souvent aussi un : « mais ne me laissez pas tomber » … qui n’est pas toujours dit !
Histoire de grands-parents et de parents
Par Valérie Brasselet
Vous, grands-parents,
être parents d’enfants devenus eux-mêmes parents, cela implique naturellement un changement, un bouleversement. Les places et les rôles se modifient, les relations aussi. Les parents deviennent ainsi des grands-parents avec la naissance de cette nouvelle génération.
Cette place nouvelle est à découvrir. Elle est à construire.
La période des vacances scolaires est, le plus souvent, pour vous, grands-parents et pour vos petits-enfants, un vrai moment de bonheur, moment de partage, de rires, d’échanges, de jeux, etc … Quelques semaines par an avec ses petits-enfants, ça ne se néglige pas. Ça se savoure dans un plaisir mutuel. On donne/on reçoit, on reçoit/on donne. Tel est le rôle et la fonction que généralement, vous vous assignez !
Les conditions sont normalement réunies pour que tout se passe au mieux ! Quelques règles sont cependant nécessaires à respecter. Pour un déroulement optimal, en tant que grands-parents, vous allez avoir non pas un seul, mais au moins deux rôles :
celui du grand-parent Adulte qui soutient l’action des parents notamment dans l’éducation, en ne contredisant pas ce que transmettent les parents à l’enfant, celui du grand-parent Plaisir qui donne à l’enfant des moments gâteaux, des moments câlins, des moments jeux, lecture, etc.
La difficulté c’est de créer l’équilibre entre ces deux rôles.
Il est vrai que vous n’êtes pas les parents titulaires de l’autorité, des consignes. Votre place est ailleurs. Vous êtes et devez rester les intermédiaires. C’est d’ailleurs pour cela que vos petits-enfants adorent venir chez vous, car vous incarnez le tiers familial, celui ou celle sur qui ils peuvent compter, à qui parfois ils aiment confier des choses qu’ils ne confient pas à leurs parents, vous êtes celui ou celle qui les comprennent. Vous êtes aussi celui qui offre des moments différents qui sortent vos petits-enfants de leur quotidien.
Des heurts peuvent parfois apparaître avec vos enfants, votre gendre ou votre belle-fille. Ces derniers vont vous donner des règles qu’ils souhaitent voir respecter sur les horaires de coucher, l’alimentation, etc. Comment l’interpréter ? Est-ce que cela veut dire qu’ils ne vous font pas entièrement confiance ?
Et bien disons qu’ils connaissent votre potentiel de grands-parents Plaisir à donner, donner et encore donner ! Ils peuvent avoir peur de vos pertes des limites dans cet équilibre nécessaire. Quand vous donnez beaucoup, ils peuvent être inquiets de tout avoir à refaire au retour à la maison, en termes de règles, de limites.
Et puis cela peut témoigner aussi d’une difficulté à se séparer de leur enfant. S’en séparer peut être lié à une forme de culpabilité : « je le confie à mes parents ou à mes beaux-parents, car je travaille encore et je ne m’en occupe pas assez. » S’en séparer signifie aussi accepter de laisser grandir son enfant dans un espace autre que celui du cocon parental et donc de s’obliger à lâcher-prise.
Pour d’autres familles, vous êtes des grands-parents qui, certes, aiment recevoir vos petits-enfants, mais vous êtes moins dans cette dimension du tout plaisir. Vous êtes plus dans des règles et davantage de limites, mais ce sont vos limites et pas forcément celles que donnent les parents.
Pourquoi mettez-vous en place vos propres limites sans prendre en compte celles des parents ? Vous partez sûrement du principe que vous savez, puisque vous avez vous-mêmes été parents et donc vos enfants, votre gendre ou votre belle-fille n’ont pas à vous expliquer quoi faire.
Pour que tout se passe au mieux, la solution réside dans les compromis, car parents et grands-parents sont dans leurs droits.
Le respect mutuel et l’écoute des désirs des uns et des autres sont indispensables. Il ne s’agit pas de se fâcher d’autant que le jeune, lui, n’est pas responsable. Il ne doit pas porter la responsabilité du conflit entre ses parents et ses grands-parents.
Vous, parents,
Vous êtes passés à un nouveau statut qui va vous amener à modifier vos manières de percevoir ce que vous pensiez savoir du rôle de parent. Les découvertes vont se vivre, se faire au fur et à mesure des événements et au fur et à mesure de l’évolution du bébé qui devient grand.
Mais quel type de relation entretenir avec son enfant ? Quel type d’éducation ? Un peu la même que celle héritée de ses parents, complètement la même, ou une très différente ? On suppose que chacun puise dans son héritage parental et en même temps, chacun invente d’autres principes et référents. C’est nécessaire et c’est bon signe.
La place nouvelle de parents tout comme celle de grands-parents se développe et s’acquiert progressivement.
Les vacances sont aussi pour vous, parents, une joie, le bonheur de laisser vos jeunes partir chez papi et mamie. Préparatifs valises, projets d’activités à penser, à mettre en place, demande aux grands-parents pour les accompagnements sportifs éventuels. Après ce plaisir ressenti de les laisser partir, de se retrouver en couple, de se détendre, de ne plus penser l’organisation quotidienne : accompagnement à l’école, aide aux devoirs, accompagnement aux activités sportives, aux anniversaires des copains, chez le médecin, etc, vous pouvez aussi parfois vivre des déceptions dans vos liens à vos parents ou à vos beaux-parents.
Que se passe-t-il au niveau des relations, quelles sont les difficultés dans ces liens ? Que va introduire l’enfant, du seul fait de sa présence, dans ce rapport parents/grands-parents ?
Quelle est la place des parents à l’intérieur de cette relation enfant/grands-parents ? Question qui peut se poser, surtout quand les principes éducatifs des parents et des grands-parents diffèrent.
Les rôles n’étant pas les mêmes, il peut naître des complications dans les relations.
Ce qui est souvent entendu, c’est « chaque fois qu’ils reviennent de chez leurs grands-parents, toute l’éducation est à refaire », « chez mes parents, ils font ce qu’ils veulent », « ils mangent n’importe quoi », « mes parents leur laissent tout faire ; nous, on n’avait pas le droit de faire le quart de ce qu’ils leur autorisent », « ?ils se couchent trop tard », « ils mangent trop de sucreries ». C’est l’expression des différents concernant l’éducation.
Pourquoi ? Parce que vos relations de parents aux grands-parents sont emprunts de charges émotionnelles affectives fortes, faisant resurgir, parfois par l’intermédiaire de votre enfant, des conflits anciens (inconscients) pouvant datés de votre enfance et le plus souvent de votre adolescence.
Ainsi, on peut dire que de part et d’autre, sans en être vraiment conscient, des comptes continuent à se régler à travers l’éducation des petits-enfants et bien souvent en position inversée : ceux qui, à l’adolescence, remettaient en cause et s’opposaient à l’éducation parentale, une fois devenus parents, demandent à leurs parents de les écouter, de respecter leurs demandes éducatives et les parents, dans ce rôle de grands-parents, font un peu les ados. Eux aussi lâchent-prise et veulent profiter de leurs petits-enfants. Ils laissent ce rôle d’éducateurs contraignants à leurs enfants.
Conseils aux parents :
Quand laisser-faire ?
Sur des enjeux minimes, tels que les horaires du coucher du soir rendus plus flexibles par les grands-parents, il n’est pas important de s’emporter. Mieux vaut préserver la négociation ou bien même l’acceptation. Ça fera plaisir aux grands-parents et là, rien ne sera grave. Le temps des vacances est un temps transitoire, de lâcher-prise, un temps ailleurs, en dehors du quotidien. En acceptant de déléguer pleinement aux grands-parents sur ces aspects non préjudiciables, vous pourrez être d’autant mieux entendus quand il s’agira de faire des demandes fondamentales.
Quand ne pas laisser faire ? LE DIABÈTE
Avec l’arrivée du diabète dans la famille, les difficultés peuvent devenir plus intenses, car il est question de santé et les angoisses, les inquiétudes se mêlent. Voilà une raison fondamentale pour tenter de bien s’écouter.
Les enjeux sont présents. Les grands-parents en voulant faire plaisir en font parfois « un peu trop ». L’objectif est surtout de ne pas vous braquer. Il va falloir leur expliquer calmement les enjeux du diabète et les complications qui pourraient survenir sur la santé.
Il faut aussi savoir qu’il peut être parfois compliqué pour les grands-parents d’accepter que leur petit enfant ait un diabète. Leur difficulté à bien vous entendre ou à bien faire, peut être également en lien avec leur refus de la maladie. Il est nécessaire que vous, parents, puissiez l’entendre comme un travail d’acceptation qui se fera pour eux aussi, avec le temps.
Conseils aux grands-parents :
On sait qu’en tant que grands-parents, vous savez éduquer puisque vous avez été parents. On sait aussi que vos enfants savent, puisqu’ils sont aujourd’hui parents avec vous comme référents de leur enfance.
On sait aussi que vos enfants connaissent le diabète de leur enfant et qu’ils en deviennent les référents. Ils en deviennent les référents et les experts non pas par choix, mais par devoir parental, par amour et partage.
Citons quelques exemples des problématiques rencontrées par les parents de vos petits-enfants, ce à quoi ils sont confrontés au quotidien :
> Les glycémies : elles sont indispensables à faire plusieurs fois par jour et sont un indicateur des tendances et variations de la glycémie sur une journée. Les résultats donnés permettent d’adapter les doses d’insuline.
> Les doses d’insuline : l’insuline est fondamentale mais bien sûr, pas n’importe comment. Les doses d’insuline se réfléchissent en fonction de la glycémie matinale et par comparaison aux résultats glycémiques de la veille. Il faut aussi les adapter au jour le jour en fonction de la prise alimentaire et des activités.
> L’alimentation : elle se doit d’être bien équilibrée pour la santé. Elle doit se penser et se donner de manière adaptée.
Ces trois exemples font partie du quotidien que connaissent vos enfants, sources de stress. Comment, vous en tant que grands-parents, vous pourriez les aider ?
Ce qui aide toujours vos enfants, c’est d’avoir le sentiment que vous êtes partenaire d’eux pour la santé de vos petits-enfants. Ils ont besoin d’être entendus. Ça les rassure. Ils savent ainsi que vous allez dans le même sens pour l’observance des soins.
> Pour les glycémies, n’hésitez pas à les questionner pour qu’ils vous expliquent et si besoin, vous fournissent des supports et vous disent quoi faire en fonction des glycémies (collation, supplément d’insuline, diminution de la dose…).
> Pour les doses d’insuline, c’est la même chose. Tout est question de discussion. Expliquez-leur ce que vous souhaitez faire dans une journée. Ils vous donneront les doses d’insuline à faire et vous expliqueront comment on compare d’un jour à l’autre. Ils vous diront si vous avez à augmenter ou à réduire les doses d’insuline, et toujours en fonction des résultats de la veille, des activités du jour et de l’alimentation prévue.
> Pour l’alimentation, le jeune doit manger normalement, c’est à dire, de manière équilibrée. Chacun dans la famille doit manger en quantité suffisante et adaptée. L’excès est à supprimer pour tous. L’abondance en produits gras, en sucreries, en gâteaux est nocif pour chaque personne quelque soit l’âge. L’excès doit être exceptionnel mais ça ne doit jamais être une règle ni du quotidien, ni des vacances.
Pour résumer et pour conclure, le plaisir des vacances et de l’accueil de vos petits-enfants est à vivre pleinement dans le cadre d’une alimentation saine et équilibrée, dans les moments d’activités partagés et dans la tendresse donnée.
Les parents & l'adolescence
Par Valérie Brasselet
Être parent engendre de nombreux plaisirs, mais implique aussi des responsabilités. Au démarrage de la vie, le bébé puis l’enfant tout petit est dépendant de ses parents. Ses actes, ses pensées dépendent des idées, de l’éducation et des valeurs des parents. L’enfant est nourri, porté, habillé, choyé. Le parent, à ces âges du tout petit, occupe toute la place, il décide. L’enfant obéit. Le parent est le référent.
Puis l’enfant grandit ; il devient un adolescent, période qui démarre chez les filles vers 10 ans et chez les garçons vers 12 ans. C’est une période de changements majeurs pour le jeune. C’est une évolution des places, à la fois pour lui, mais aussi pour ses parents. C’est un moment compliqué pour tous au sein des familles. C’est, pour le jeune, une période de remaniements. La puberté survient, le corps se transforme. Le jeune doit tenter de s’approprier et d’accepter ces modifications. Il s’interroge : suis-je normal ? suis-je suffisamment beau, fort, grand, etc… ? Ses relations aux autres changent. D’autres groupes d’amis peuvent se constituer. L’adolescent est en prise avec un certain nombre de contraintes : les contraintes de ce corps changeant qu’il ne maîtrise pas, de l’école, des parents à un moment où il cherche à s’autonomiser, du groupe d’appartenance qui l’oblige à ressembler aux copains. Cette ressemblance impose certes, une forme de conformité pour ne pas être rejeté du groupe, mais dans le même temps, elle est un moyen pour lui de cacher à l’entourage les transformations vécues et subies : plus je ressemble aux autres, moins je me sens différent d’eux, plus je me rassure sur ma normalité.
Pour l’adolescent qui a un diabète, s’ajoutent à tout cela les contraintes du diabète et se développe chez le jeune de manière plus ou moins consciente, le sentiment de perdre sa liberté, liberté que la maladie lui a prise. Il subit encore un peu plus que les autres. Ses objectifs sont d’exister pleinement, de trouver des moyens d’affirmation de son existence et de défendre cette liberté prise par la maladie.
Pour tous les adolescents, avec ou sans diabète, il s’agit à cette période de rééquilibrer ce qui est bouleversé en chacun du fait de la puberté et de savoir qui ils sont et comment retrouver une place. C’est ce qu’on peut appeler : la transition, mouvement de passage entre l’enfant vers le devenir adolescent. Un jeune disait pour définir ces périodes : « notre enfance pour les mères, c’est comme une autre grossesse après leur première (…) le mot que je trouve, c’est « couvé » ; elles nous couvent quand on est enfant et l’adolescence, c’est la véritable éclosion ».
Évolution des places et création de nouveaux repères pour tous
L’enfant grandit, devient adolescent. C’est un changement dans la famille. Le parent perd sa place de celui qui décide seul de tout. Il doit tenter de partager avec son jeune. C’est en effet une place à part entière que le jeune cherche à acquérir, une reconnaissance de qui il est, de ses idées propres, de ses goûts, de ses solutions et de ses convictions. Le jeune veut agir seul, il veut également décider et par conséquent, à cet endroit, il y a un besoin de négocier et d’écouter de part et d’autre.
Le parent perd les repères de l’enfant qu’il avait
Le parent va devoir comprendre que son jeune grandit et qu’en conséquence, les places vont bouger. Il va devoir accepter l’évolution de son jeune et dans le même temps, accepter de changer dans sa manière d’être, de faire et d’interagir. Cela implique de créer de nouveaux repères. Le parent cherche une nouvelle place et à recréer le lien qu’il pense avoir perdu. Certains parents disent : « On n’est jamais là où ils nous attendent », « Ils bougent de mois en mois », « Il faut beaucoup d’adaptations ». À ces âges, où les pré-adolescents et adolescents cherchent à maîtriser et à faire seuls, ils interprètent les demandes ou les questions des parents comme : « papa et maman sont toujours sur mon dos ».
L’adolescent renvoie au parent « qu’il est à côté de la plaque ». Ce qui est entendu par les parents fréquemment de la part de leur adolescent, c’est : « tu ne comprends rien ». Mais chacun à cette période est « à côté de la plaque », car l’adolescent lui-même se cherche. Il est à côté de lui-même. Il ne sait pas bien qui il est et ce qu’il souhaite précisément. Il s’observe changer (physiquement et dans ses relations), sans bien tout comprendre de ce qui lui arrive. Un jeune de 19 ans disait : « l’adolescence, c’est terrible. C’est une déconstruction de tout et une reconstruction vers l’âge adulte (…) enfin, je veux dire, on tend vers l’adulte. » Un autre de 20 ans disait : « la confrontation à l’autre dans l’adolescence, c’est un peu l’apprentissage de l’autre et c’est pas doux. »
Le pré-adolescent perd les repères de l’enfant qu’il était
Tous ces mouvements, ces changements engendrent une forte inquiétude. En même temps que le jeune veut grandir, l’inconnu lui fait peur. Il adopte en conséquence, des comportements provocateurs à l’égard de ses parents notamment pour que ces derniers lui mettent des limites. Les limites mises en place par les parents le rassurent sur le fait qu’ils ne le laissent pas faire n’importe quoi et que même s’il grandit, ils ne le laisseront pas grandir seul. Cela lui signifie que ses parents sont toujours là.
L’adolescent cherche la solidité du lien. Il se sent ainsi protégé malgré tous ces changements. Pour lui, l’important, c’est de se dire que ça n’est pas parce qu’il grandit que ses parents « disparaissent » d’autant que sa propre prise d’âge lui fait, en parallèle, prendre conscience du vieillissement de ses parents, ce qui bien entendu, ne participe pas de sa réassurance.
Conseils aux parents :
Vous êtes et vous devez rester les référents. Vos jeunes ont besoin de vous non pas comme des copains, mais comme leurs parents. Quand ils provoquent, sont insolents, ils viennent chercher vos limites, vos réactions. Vos réactions les rassurent. Ça leur démontre qu’ils ne sont pas en train de grandir seul, que vous êtes là, toujours présents, en capacité de répondre. Ça leur témoigne que vous restez garant de leur sécurité. Malgré les changements, leur évolution et l’âge, vous savez toujours les protéger des autres et d’eux-mêmes, de leurs propres changements qu’ils ne maîtrisent pas.
En revanche il faut, c’est vrai, faire évoluer les places. Votre jeune cherche à être reconnu, entendu dans ses avis. Il souhaite être respecté dans ses différences. Il ne veut pas être critiqué ni jugé. Il va s’agir de construire un système de partenariat participatif entre lui et vous. Il faut ouvrir un large espace de communication. Il faut l’inviter à proposer des solutions, le responsabiliser, puisqu’il considère souvent que vous êtes sur son dos, que vous vous trompez. Il est important de lui demander ce qu’il propose comme solution(s).
Vous allez devoir progressivement accepter de lâcher toute la place que vous occupiez précédemment : ne plus tout faire, laisser votre jeune faire seul des choses accessibles comme ce qui a attrait au diabète : qu’il fasse son insuline, ses glycémies, changer le cathéter, prévoir ses sorties, anticiper et préparer le matériel nécessaire pour les déplacements, les fêtes, les soirées, etc… Ne plus lui demander en première question et systématiquement dès qu’il rentre du collège ou du lycée le soir combien il a eu en glycémie dans la journée. Les résultats glycémiques ne doivent en aucun cas être assimilés ou confondus avec des notes scolaires.
En conclusion, on sait que les familles évoluent tout au long de la vie en lien avec les évènements (naissance, décès, plaisirs, drames, etc…), mais aussi avec le changement de place des enfants qui grandissent et l’avancée en âge des parents. La plénitude des familles réside dans l’ouverture, l’acceptation, l’adaptation progressive à ces évolutions, mais elle réside aussi dans une large place faite au partage et à la communication.
La maitrise active comme tentative de réappropriation de soi
Par Valérie Brasselet
Intéressons-nous au concept de « maîtrise ». Nous pouvons définir ce concept comme une volonté de domination. Dominer quelqu’un, dominer quelque chose. Mais, on peut alors s’interroger sur cette idée : dominer qui ou quoi et dominer pour quoi faire ? Quelles sont les désirs, les motivations ou les peurs qui conduisent à ce type de comportements ?
Le monde est anxiogène par nature. Rien n’est jamais prévisible. Certaines personnes sont très anxieuses, d’autres le sont moins. L’anxiété, les divers stress sont liés aux facteurs environnementaux, aux évènements de vie. Chacun fait en fonction de qui il est, de ses ressources internes, de son tempérament et de sa personnalité. Pour certains, c’est plus simple que pour d’autres. Chacun est différent. Nous pouvons alors nous demander ce que provoque la survenue d’une maladie dans la vie ?
Nous le savons avec vous qui êtes parents de jeunes ayant un diabète, grands-parents ou jeunes de la famille : c’est une situation de rupture, un choc, un bouleversement. La maladie crée des incertitudes. Elle confronte à l’inconnu et cela fait naître de l’anxiété. La vie quotidienne est à penser différemment, elle est à réorganiser. Le jeune perd ses repères, ce qu’il connaissait de lui-même, son corps d’avant. Il perd ses automatismes, son insouciance. Il est en proie à de vastes changements dans ses habitudes, dans son rapport au corps et dans ses relations à sa famille et à ses pairs. L’objectif de tout jeune est d’aller progressivement vers l’indépendance, savoir se séparer, s’organiser, se prendre en main.
Dans l’enfance, l’irruption du diabète ralentit souvent ce processus naturel. Au moment de l’adolescence, période d’autonomisation, le jeune se sent bien souvent impuissant face au diabète. Il pense perdre l’indépendance tant recherchée. Il se sent soumis et contraint, privé de liberté. Il est subordonné à des horaires, des doses, des appareils, etc…
La survenue du diabète engendre de la peur et peut, par conséquent, venir renforcer ce ralentissement de l’accession à l’indépendance. Outre cette peur, pourquoi cette accession à l’indépendance serait-elle mise à mal ? Et pourquoi chercher à maîtriser l’hypoglycémie ? Que leur fait-elle vivre ? Et bien, l’hypoglycémie est justement la meilleure illustration des vécus de perte de maîtrise par ces jeunes. Elle renvoie au sentiment de perte de quelque chose de soi, la perte d’une partie d’eux-mêmes. Ils vivent, après la toute première hypoglycémie, dans l’angoisse de cette perte.
La perte de maitrise associée au sentiment de dépendance
L’hypoglycémie met à mal le psychisme de l’individu ainsi que son corps. Le jeune perd le contrôle de ce qu’il est. Il perd à la fois sa capacité de penser et sa capacité d’agir normalement. On pourrait ainsi dire, sur des hypoglycémies importantes, qu’il ne s’appartient plus.
La survenue d’une hypoglycémie fait vivre au jeune ce sentiment d’être dépendant de sa maladie, de son corps défaillant, de subir, de ne plus décider de qui il est, de ce qui lui appartient. C’est un moment qu’il vit comme un moment de séparation psychique entre sa tête et son corps. Un moment que le jeune n’a pas choisi, un moment qu’il ne maîtrise pas et la peur psychologique d’être débordé par les comportements de ce corps infidèle et sournois. Le débordement ressenti vient de la place occupée par ce corps qui ne veut plus obéir, un corps qui décide à sa place. Le jeune subit ce corps : « il faut gérer », « je dois gérer ». De cette gestion découle la volonté de maîtriser.
On suppose qu’ils souhaitent maîtriser les appareils, les doses, les protocoles médicaux, les règles du diabète, etc… Mais ce que ces jeunes cherchent à maîtriser, ce sont, pour une grande majorité d’entre eux, les hypoglycémies.
La honte ressentie
L’hypoglycémie inscrit et recrée chaque fois pour l’individu le moment de rupture, de choc et de bouleversement. L’hypoglycémie actualise, met en scène le diabète. Le jeune ne peut plus faire comme si le diabète n’existait pas. Il est là et il se montre. L’hypoglycémie révèle la maladie aux autres. L’entourage ou d’autres personnes, en fonction du contexte et du lieu, savent et connaissent désormais les symptômes. Ils voient en effet apparaître les troubles décrits précédemment. De là, naissent des sentiments de honte de s’être révélé, montré en spectacle aux yeux de l’environnement. Le jeune, du fait de ces comportements « déviants », vit dans la peur que cela se reproduise.
Stratégie d’actions (active ou passive)
Face à ces vécus induits par le diabète et plus spécifiquement par l’hypoglycémie, il s’agit pour chacun de reprendre le contrôle de soi, de recréer le lien entre la tête et le psychisme et d’éviter ces ressentis de perte de soi, de perte identitaire et de perte du corps.
Le fait de maîtriser leur donne le sentiment d’agir et de choisir. Leur leitmotiv est : mieux vaut choisir que subir.
On peut décrire deux types différents de maîtrise :
1) La maîtrise passive comme évitement de la maladie : ainsi le jeune se maintient dans une forme de déni de la maladie. Il évite l’hypoglycémie (la perte du contrôle de soi) de manière quasi permanente.
2) La maîtrise active comme tentative de réappropriation de soi : l’hypoglycémie est possible. La perte dans ce cas est perçue. L’hypoglycémie est même utilisée par le jeune comme « outil » de mesure de ses potentialités. Il se teste et se confronte aux limites.
Les jeunes qui agissent dans la maîtrise passive sont les plus vulnérables, ceux pour lesquels, d’emblée, famille et médecins s’inquiètent davantage. Ce sont ceux que j’appelle les
« victimes » c’est-à-dire qu’ils abandonnent leur prise en charge. Ils font comme s’ils n’étaient pas malades. Plutôt qu’avoir le sentiment de subir la maladie, ils vont choisir d’agir, mais dans le vide et le rien : 0 contrainte, 0 glycémie, peu d’insuline, etc… C’est ce qu’on pourrait appeler un processus de réappropriation dans le négatif. Ça leur donne le sentiment de ne plus être dépendant puisqu’ils choisissent de ne rien faire face au diabète : ni dépendant du diabète, ni des médecins, ni de la famille, mais à quel prix ! Philippe Jeammet explique bien que : « quand un sujet est en souffrance, ce n’est pas un choix, c’est une contrainte. Une contrainte qui est un appel aux autres à intervenir. » Il va falloir aider ce jeune à reprendre confiance et à prendre soin de lui.
Ils se sentent impuissants face au diabète et décident donc de le maîtriser dans la destruction. Leur item est : « je n’ai pas choisi d’être diabétique, je n’ai pas choisi les hypoglycémies et bien je vais les éviter, je vais les retirer totalement pour ne plus rien subir ou presque. Ils transforment leur impuissance en activité destructrice. Ceux-là sont presque en permanence en hyperglycémie et peuvent même adopter pour certains des conduites alimentaires déviantes. Ces jeunes se piègent eux-mêmes en voulant maîtriser l’hypoglycémie au point de se maintenir en permanence en hyperglycémie. Ils sont dans l’illusion de la maîtrise et de l’indépendance face à la maladie.
En réalité, ils renforcent leur dépendance aux parents, aux médecins. En effet, parents et médecins observant les « mauvais résultats » voient que ces jeunes ont de sérieuses difficultés de prise en charge. Ils voient l’évitement dans lequel ils se placent, ils constatent la non- observance de ces jeunes. En conséquence, les adultes autour restent « sur leur dos », dans un contrôle quasi permanent, les considèrent comme trop petits, pas suffisamment autonomes, etc. Ces jeunes qui se placent en « victimes » font que le diabète et les autres décident à leur place. C’est malheureusement un échec de l’appropriation et de l’indépendance.
Les jeunes qui agissent dans la maîtrise active vont mieux puisqu’ils savent que l’hypoglycémie fait partie de la maladie. Elle est donc possible. Ceux-là sont dans une lutte active face à la maladie, une recherche de positionnement et de tentative de réappropriation de la perte. Leur leitmotiv est : c’est pas le diabète et les hypoglycémies qui vont décider, qui vont me maîtriser. C’est moi.
Ce sont ceux qu’on peut appeler « les combattants », ceux qui cherchent à exprimer qu’ils sont plus « forts » que leur maladie, que leur diabète, que le corps malade, plus fort que l’hypoglycémie. C’est une manière pour eux de dire : j’existe indépendamment de ma maladie et je décide. Leur positionnement, leur combat se traduisent dans des prises de risques (par rapport à l’hypoglycémie) qu’on peut qualifier de classiques. Ils peuvent par exemple pousser leurs limites dans le sport allant jusqu’à l’hypoglycémie, ne pas se resucrer immédiatement, etc. C’est évidemment un comportement « limite », mais c’est une manière pour le jeune de tester ses possibilités, de se confronter à lui-même et à la maladie. Le danger apparaît quand les prises de risques durent et qu’elles sont trop fréquentes.
Conseils aux parents :
Dans le cas où votre jeune faisait comme si l’hypoglycémie n’existait pas, s’il s’arrange pour qu’elle n’apparaisse jamais, s’il évite certaines glycémies ou bien même certains bolus ou certaines injections.
– Il est utile dans ce cas de calmement lui expliquer, à un moment opportun, qu’il se met en danger. Les complications se produiront s’il fait de cette manière, s’il décide de se laisser aller, de se laisser tomber.
– Il est important de lui expliquer qu’il est en train de laisser le diabète décider à sa place, décider de sa vie. Il s’agit de lui redonner le sentiment qu’il s’appartient, qu’il a la liberté de choix par rapport à ce qu’il vit, que tout n’est pas que contrainte. Il peut décider d’aller mieux dans son diabète et avec son diabète. Il est acteur de sa vie et les choses peuvent se passer très bien s’il le décide.
– Expliquez-lui que pour gagner en autonomie, « moins vous avoir sur le dos » et moins de « remontrances » ou de questions de la part des médecins, il est mieux qu’il décide d’une meilleure organisation pour se gérer. Il en a le potentiel. Vous lui faites confiance.
– Reconnaissez avec lui, que oui, c’est casse-pied et il a le droit de râler, mais que vous êtes là pour l’aider et que l’idée essentielle est qu’il reste maître du jeu.
Dans le cas où votre jeune se positionne face au diabète pour être le décideur : il confronte son corps pour voir qui décide et pour se réapproprier ce corps qu’il sait potentiellement défaillant.
– Il peut par exemple, faire beaucoup d’activités, se pousser loin dans les exploits… c’est très bien, mais ayez toujours en tête de lui indiquer les limites, de lui rappeler les glycémies à faire, etc…
– Se pousser pour voir qui est le plus fort, se confronter à soi, à ses potentialités, à ses limites oui, mais en restant maître de soi, ne pas se pousser au-delà d’une certaine ligne, de manière à ne pas aboutir à des prises de risques inconséquentes.