Dans le dernier numéro de la revue de l’AJD et sur facebook, nous vous parlions de Maxime, jeune de 27 ans, ayant un diabète de type 1 et préparant l’ultra trail du pas du diable. La course s’est déroulée le 28 avril dernier. Quelques jours plus tard, il nous livre son sentiment :
« Départ à 4h du matin dans le froid glacial (-2°C) de l’Aveyron nous sommes près de 400 sur la ligne de départ où le diable nous provoque… Ça va faire des mois que j’attends ça, j’ai juste hâte de partir ! Enfin le départ est donné, je m’élance et pars en fermant les yeux… Je prends rapidement une foulée qui restera la même pendant près de 100km sans regarder les autres, je ne m’occupe que de moi et me focalise sur ma course et mon corps. Le premier ravitaillement à 19km apparaît déjà avant les premières lueurs du soleil, je m’arrête peu, je mange un morceau par circonstance et je repars aussitôt mes jambes veulent courir. Avant de partir, mon père me dit que je suis 19ème. Je repars un peu troublé, car je me dit que soit il s’est trompé et annoncera au prochain ravito que je suis en réalité 119ème, soit je suis parti beaucoup trop vite… Je n’hésite pas trop longtemps et je continue pour 23km jusqu’à Trêves, où je dépasse des coureurs qui me paraissent déjà étrangement fatigués alors que je suis en pleine forme… 42ème km au ravito, cette fois-ci je me change et mange un peu plus je suis 16ème, les premiers sont arrivés il y a quelques minutes seulement, mon corps en redemande aujourd’hui, je ne cours pas, je vole…
Je repars pour Dourbie qui sera la mi-course. Après avoir fait deux étapes de 19 et 23km, je me dis que celle-ci de 17 passera toute seule. Pourtant, à 2km du ravito je commence à douter un peu, c’est la première fois de la matinée que je commence à éprouver une certaine difficulté. J’ai vu pendant les derniers km deux coureurs s’arrêter net alors que l’on se suivait depuis ce matin et je me demande si moi aussi je vais finir par tomber comme eux… Je n’ai pas encore de douleur mais l’idée que j’arrive à mi-course commence à me peser. Au ravito, je m’assois et prend un peu de temps : je me change complètement et reprend des forces. Je suis 19ème, je croise des coureurs beaucoup plus expérimentés depuis l’aube aux ravitos, j’aurais fait ces 60 premiers km seul… Là à ce moment précis je ne me suis jamais senti à la fois aussi proche et aussi loin de la ligne d’arrivée… Je sais que je n’ai qu’à refaire la même chose que j’ai faite ce matin pour y arriver et c’est justement le problème. Pas trop le temps de réfléchir, il faut repartir.
La prochaine étape sera la plus longue 30km avant Aumessas… Ces km seront une succession de bons et de mauvais moments. C’est pourtant les km où j’aurais la chance de partager quelques moments avec deux coureurs et nous nous entraiderons tantôt dans les montées tantôt sur le plat à relancer. Mes jambes ne veulent plus courir, sans leur soutien, je n’arriverai pas à relancer ; en côte, en revanche, je maintiens un bon rythme. J’arriverai à Aumessas avec l’un d’entre eux (ou plutôt l’une) et au bout de 14h29 de course, je suis toujours 24ème… Là je prends mon temps, je ne fais plus la course, je dois juste finir maintenant, car mon corps commence à faiblir Je lis les messages reçus depuis ce matin qui me redonnent espoir et j’entame la montée sur la Condamine, plein de doutes. Je commence à me dire qu’il faut que ça s’arrête pourtant je sais qu’il y en a encore pour des heures de course. J’atteins le sommet avant la nuit et repars, des coureurs me rattrapent, ils courent !! Comment font-ils ? Mes jambes refusent d’avancer et chaque pas est littéralement une torture… Il me reste 15km de course, la nuit vient de tomber et le froid m’assaille, il fait -4°C ! Je ne cours plus et suis quasi statique, avec la fatigue le froid m’endort. Je mettrais une heure pour faire trois km avant d’arriver au dernier ravito « La prat ». Là, je dois réfléchir, je ne sais pas si je peux repartir. Il ne reste que 7km mais si je me base sur mon allure, ça représente plus de deux heures… J’ai froid, je n’ai plus pris de plaisir depuis deux heures au moins et mes jambes ne veulent plus avancer… Je n’ai plus couru depuis 4 ou 5 km. Je dois prendre une décision, le coureur en face de moi abandonnera ici, les gens me diront que j’y suis presque que je n’ai qu’a finir en marchant, mais il faut que ça s’arrête , après tout je n’ai rien à prouver à personne… Et puis oui, je dois me prouver que je peux le faire ! Si mes jambes ne veulent plus bouger, je finirai avec les mains !
Étrangement, en repartant de ce ravitaillement je me remets à courir tant bien que mal, je sais que je vais finir et je sais que plus vite je cours, plus rapide sera la fin… Après 22h25 de course je vois enfin la ligne d’arrivée… J’espère la franchir depuis 120km, pourtant ce ne sera pas une explosion de joie comme je l’imaginais depuis ce matin, une délivrance, la fin d’une torture et je la franchirai sans fierté en cherchant seulement un coin pour m’allonger… Voilà 6mois que je me dis que je vais faire cet ultra et je peux maintenant dire que je l’ai fait ! J’ai eu 2h d’avance sur le temps que j’espérais, j’aurais surtout couru pendant 60km sans jamais douter et en prenant du plaisir. J’aurais aussi trouvé dans les derniers km une partie de moi que je n’imaginais pas, j’aurais puisé au fond de mon âme les moyens de repartir lorsque plus rien ne répondait présents… Après quelques jours de récupération, les bons moments se font plus nombreux que les mauvais dans mon esprit, c’est étrange. Je voulais quand même écrire tout ça pour ne pas oublier combien cette course a été dure à la fin.
Aujourd’hui, nous sommes à dix semaines de l’ultra de Corse et mes jambes me démangent déjà, elles veulent repartir ! »